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Textes de Dominique Vibrac
20 septembre 2016

TRANSCENDANCE ET IMMANENCE : DEBUT D'UN LIVRE DE DOMINIQUE VIBRAC

INTRODUCTION

 

 

Les affranchissements successifs et les combats menés, la volonté de défendre un espace d’autonomie et d’indépendance peuvent nous mettre sur la voie d’une interrogation plus fondamentale, relative cette fois au sens global de l’existence. Au-delà des situations historiques et des revendications concrètes, l’homme peut, en effet, pousser plus loin la réflexion et se demander jusqu’où l’idée d’une dépendance foncière par rapport à une autorité souveraine lui semble inacceptable, ou, au contraire, indispensable. Une question vitale?

 

Les conflits, parfois intérieurs ou intériorisés, entre une norme extérieure, parfois sévère, sinon inhumaine,  s’imposant à nous,  et l’aspiration au bonheur et à l’épanouissement libre de l’individu, parsèment les trajectoires personnelles et peut-être l’Histoire elle-même. Comme une tragédie silencieuse. Des luttes sont conduites dans la volonté d’accorder à l’homme un espace de vie et de désir qui échappe au contrôle souverain d’autorités supérieures. Nous ressentons tous à certains moments de notre existence l’envie d’être les arbitres indépendants de nos destinées et de nos choix. Nous pouvons alors éprouver d’autant plus fortement la domination d’une instance qui nous dépasse, et qui nous juge, comme intolérable. Au point que cela puisse devenir une question de vie ou de mort. La crise existentielle favorise alors un tournant souvent radical, quelquefois dangereux, de toute manière incontournable.

 

La question qui se pose à notre intelligence, par-delà les réactions affectives, souvent complexes et même obscures, demeure celle du rapport entre l’immanence et la transcendance; de l’accord possible entre une intensification horizontale de l’existence et une référence à un ordre de réalité, ou d’idéalité, dépassant cette perspective toute humain, pouvant lui fixer des limites, et même lui tracer un horizon ultime.

 

 

Une provocation nous est adressée. Contourner l’obstacle serait déloyal. Il nous faut répondre, d’une façon ou d’une autre, à la question d’une éventuelle transcendance. Par ce terme, nous entendons non seulement quelque chose qui se situerait, au moins idéalement, au-delà des limites de notre esprit fini, mais plus précisément un ordre de légalité et de vie qui d’une certaine façon surplombe celui de l’immanence, avec le risque d’un conflit possible. Inéluctable ?

 

 

Il est également vrai que le concept même de transcendance peut revêtir, non seulement des tonalités, mais encore des contenus différents en fonction des contextes dans lesquels il s’insère, des systèmes philosophiques qui y font référence. Tout propos métaphysique ou historique le mentionnant doit donc en déterminer au préalable la signification envisagée avec la plus grande précision possible.

 

 

D’emblée, nous entendons ici “transcendance” en un sens différentiel par rapport au non-transcendant, à ce qui ne l’est pas, à ce qui est immanent. Nous définirions ainsi “transcendance”, en reprenant les termes du Larousse : “ En métaphysique, caractère de ce qui est d’une nature radicalement autre, absolument supérieure, de ce qui est extérieur au monde[1]. Nous entrons là aussitôt dans le vif de notre problématique. En effet, notre dépendance à l’égard de Dieu, ou d’une source transcendante restée anonyme, permet-elle, à moins qu’elle ne le suscite et le souhaite, le libre déploiement créateur – ou si l’on préfère « créatif » et singulier de nous-mêmes? (Il convient de noter qu’il y a plus qu’une nuance entre les deux adjectifs : la créativité exprime une potentialité finie de transformation et de réinvention bien différente de la puissance authentiquement créatrice qui fait advenir ce qui n’était pas.)

 

 

En d’autres termes, faut-il poser l’immanence et la transcendance comme deux dimensions non simplement opposées mais contradictoires, ce qui nous conduit à deux solutions radicales : soit le rejet de toute transcendance, soit l‘écrasement de l‘immanence. Peut-on plutôt envisager entre ces deux pôles une harmonie possible ? Peut-on se référer à une transcendance sans brider indûment notre puissance d’exister ? Peut-on envisager d’ailleurs une transcendance qui, loin de concurrencer l’immanence, la stimule et lui donne un perfectionnement supérieur et plénier ?

 

 

La question incontournable n’en demeure pas moins de savoir si l’alternative s’impose ou non, autrement dit si la transcendance est - ou n’est pas - de soi toujours susceptible de limiter l’immanence, de sorte que le maintien, même du bout des lèvres, d‘une transcendance éventuellement affirmée, ne constituerait pas un compromis pusillanime, plutôt qu’une tension féconde, au risque de stériliser la pensée. Une réponse à de telles interrogations dépend bien entendu de notre vision de l’immanence, qui ne saurait être réduite, peut-être, à une vision matérialiste réductrice. Qui sait si alors nous ne découvrirons pas une spiritualité, voire une mystique de l’immanence ? Elle dépend plus encore du sens que nous donnons à la transcendance. Elle suppose peut-être au préalable de s’interroger sur la vérité de nos représentations de cette dernière. Peut-on identifier purement et simplement la transcendance avec un surmoi féroce qui nous censure et nous contraint de l’intérieur ?

 

 

Nous voulons nous situer ici, autant que possible, sur un plan proprement philosophique. En effet, la question revêt indéniablement une  dimension psychologique - et psychanalytique - qui lui est intimement liée, mais que nous ne saurions traiter comme telle, même si elle ne peut être ignorée. L’interrogation que nous voudrions laisser résonner est alors la suivante : cette dimension du problème n’en compromet-elle pas en réalité la résolution ? Nos prises de position intellectuelles ne dépendent-elles pas trop souvent de dynamismes souterrains, des blessures de notre psyché, des aléas de notre histoire intime, des lenteurs hélas redoutables de dénouements augurés, mais délicats, et parfois incertains ? Un éventuel « parasitage » psychologique n’est-il pas à craindre, susceptible de nous conduire à des impasses, de nous rendre aveugles à certaines dimensions d’une problématique, de nous pousser à adopter des positions dictées par la passion et non point par un examen raisonné et prudent des éléments en présence ? Il va de soi que de telles inquiétudes ne peuvent être dissipées au moyen de quelque parade infaillible. Sans même invoquer forcément l’hypothèse d’un inconscient psychique qui exercerait sur nous une influence secrète et non moins décisive, nous devons par principe adopter une attitude systématique de vigilance à l’endroit de nous-mêmes, de nos préjugés et de nos opinions.

 

 

Ainsi, le défenseur d’une référence à la transcendance pourra également tenter d’expliquer l’hostilité suscitée, quelquefois viscérale, en ayant recours à la psychologie. Ce que fait Eugen Drewermann en ces termes : « “seule l’angoisse transforme les paroles de Dieu en commandements. Elle seule induit l’homme en contradiction; elle seule le conduit finalement à faire par amour de soi justement ce à quoi au départ il n’aspirait que par amour de Dieu. En effaçant celui-ci dans le vertige qu’elle produit, elle conduit la créature à chercher de toutes ses forces à surmonter sa contingence et sa superfluité, à se prouver par démesure même sa nécessité et son droit de vivre, à s’auto-justifier en tant qu’être humain en se posant contradictoirement lui-même comme ce Dieu qu’il a perdu. »[2].

 

 

Au-delà donc de l’argumentation proprement philosophique, et sans pour autant que cela n’induise quelque chose de définitif au plan métaphysique, le refus viscéral et violent de la transcendance pourrait s’enraciner dans une blessure psychologique initiale, qui défigure cette transcendance, la rend odieuse, et invite à s’en affranchir enfin, parfois simplement pour permettre une survie psychique de la personne. Nous ne pouvons creuser une telle question, proprement psychologique, liée peut-être en particulier aux représentations du père de la petite enfance. Mais il importait au moins de signaler qu’elle se pose, et qu’il faut donc se défier de soi en une telle matière; ou, plus encore, nous demander si nous ne pouvons pas, par la pensée, imaginer une transcendance le plus possible libérée des scories de représentations qui nous taraudent et nous hantent souvent à notre insu.

 

 

Il est intéressant de noter que le même Drewermann analyse avec une férocité sans pareil les pathologies de ceux qui, cette fois, se soumettent à une transcendance et finissent par amputer leur propre liberté et à mutiler leur puissance et leur désir de vivre[3]. Sans aller jusqu’à évoquer Nietzsche[4], relevons combien sont nombreux et convaincants les psychologues et psychanalystes qui ont su décrypter les ambiguïtés de certaines attitudes proprement masochistes, lesquelles brident la vie et le désir, ou du moins les exténuent, les affaiblissent[5]. L’allergie contemporaine d’un Michel Onfray au Ressuscité, mais plus encore à Saint Paul,  veut pointer impitoyablement les germes délétères de l’anti-vie ainsi semés[6]. Onfray entend dénoncer un christianisme proprement thanatophile (qui aime la mort, associé à la pulsion de mort de Freud). Aussi discutables que puissent être les reconstitutions historiques de cet auteur, aussi suspecte que soit sa haine viscérale du christianisme,  une part de vérité au moins semble là incontestable.

 

 

On le voit, l’analyse psychologique explique, au moins jusqu’à un certain point de fiabilité, en fonction de la portée épistémologique de la psychologie clinique et de la psychanalyse[7], pourquoi d’aucuns exaltent la transcendance et pourquoi d’autres la répudient. Pour autant, aucun argument définitif ne nous est donné en faveur ou en défaveur de l’affirmation de la transcendance en elle-même. Expliquer la genèse psychologique ne tient lieu ni de justification ni de réfutation métaphysique[8]. Ainsi, l’analyse psychologique ne donne pas raison de manière automatique et définitive ni à l’athéisme, ni à son adversaire, le spiritualisme théiste. Il ne lui revient pas de trancher à ce niveau-là. Il est trop facile de faire de l’athéisme un problème psychique[9]. Cela vaut aussi de l’affirmation métaphysique de Dieu.

 

 

La question de la portée du discours métaphysique envisagé ne saurait ici être ni traitée ni évacuée: en effet, ce problème est vaste et délicat, de sorte qu’il n’est guère possible, dans les limites du présent propos, de développer de façon très précise une théorie de la connaissance et du langage. Encore moins sans doute de tenter de dresser un panorama des positions antagonistes et contradictoires en présence. Néanmoins, il va sans dire que la prétention éventuelle d’évoquer réellement des réalités extra-mentales (même saisies au travers de notre prisme humain limité et déformant, selon l‘adage scolastique “quidquid recipitur secundum modum recipientis recipitur”) donne une version bien différente de l’affirmation de la transcendance que la conception selon laquelle nous visons en réalité des idéaux inaccessibles et sans doute inexistants, sinon comme horizons que l’homme se fixe à lui-même pour se dépasser.

 

 

Il importe surtout de souligner que la dimension métaphysique du problème s’articule à une dimension éthique ou morale ; ou, mieux existentielle. En ce sens, le discrédit même de toute forme de dogmatisme métaphysique prétendant rendre compte de ce qui est réellement (extra-mentalement), et ce de façon certaine, ne dispense pas d’une interrogation de cet ordre : ma vie doit-elle s’ajuster à un ordre transcendant extérieur (serait-ce avec une certaine souplesse dans le détail, car la conscience est aussi libre et créatrice[10]) ?

 

 

Dans une première grande partie, nous tenterons de creuser le sens de ces deux notions différentielles d’immanence et de transcendance pour tenter de dégager ce qu’elles peuvent également recouvrir en elles-mêmes, et donc, ensuite, dans le prolongement de la perspective dessinée, l’une par rapport à l’autre. Dans une seconde partie, nous nous consacrerons davantage au conflit comme tel entre transcendance et immanence, à ses variations possibles, aux dommages collatéraux de positions inhumaines, et aussi à la manière dont ce conflit s’est cristallisé au travers de thématiques particulières, comme le rapport entre foi et raison, ou autour de l’orientation que l’homme imprime à sa propre destinée. Dans une troisième partie, la plus importante au demeurant, nous développerons l’affirmation simultanée - éventuellement possible - de la transcendance et de l’immanence. Nous envisagerons ainsi de surmonter le conflit de départ, tout en fixant des conditions de crédibilité d’une défense de la transcendance, et en nous interrogeant sur de possibles chemins argumentés en faveur de cette dernière. Enfin, il nous faudra encore nous demander s’il ne convient pas en fait de prendre la question par un tout autre biais, pour retrouver la richesse et la diversité fascinantes d’une immanence créative d’elle-même autant que l’irréductible singularité de l’ordre de la relation.

 

 

PREMIERE PARTIE : TRANSCENDANCE ET IMMANENCE                        CONSISTANCE DE DEUX NOTIONS

 

 

Notre discussion porte surtout sur le “et” conjonctif, sur sa légitimité, sur les conditions qui en supportent l’éventuelle affirmation et l’incertaine cohérence. Pourtant, une telle problématique suppose également d’éclaircir le sens propre des deux notions ainsi articulées, même si elles sont différentielles, c’est-à-dire qu’elles expriment l’opposé de l’autre, et qu’elles sont compréhensibles surtout en tant que l’une n’est pas l’autre. “Transcendant” peut se définir comme “non-immanent”. De même, “immanent” peut se définir comme “non-transcendant”. Ceci étant, on peut toutefois estimer, alors même que ces définitions commodes semblent hors de doute, qu’il y a une chair propre qui entoure l’une et l’autre de ces notions, qui ne se réduisent donc pas à n’être que de pures expressions vocales ne revêtant de contenu que dans une opposition terme à terme. Par là, nous ne voulons pas dire, car c’est précisément ce qui pose problème, qu’un être transcendant ou qu’un autre monde existent en soi, comme des étants (entes) extra-mentaux. Plus modestement, sans d’abord nous interroger sur la nature de ces éventuels étants et sur leur mode propre d’existence, nous constatons qu’il y a référence à du transcendant dans la pensée et dans les propos des hommes, dans leurs représentations et dans leurs tentatives de dépasser ces représentations, et que ce mot renvoie pour eux, sinon à quelque chose de réel, du moins à ce dont ils peuvent se faire une certaine idée, aussi vague soit-elle.

 

 

Certes, il semble clair que “transcendant” dit “non-immanent” et vice versa. Pour autant, nous l’avons dit, la langue française se sert de deux mots. Elle ne se contente pas de dire “immanent” et “non immanent”, ou “transcendant” et “’non transcendant”. De plus, les deux termes ne se ressemblent pas, ne sont pas formés sur un même radical. Comme s’ils exprimaient, en définitive, quelque chose de très spécifique, l’un comme l’autre, au-delà de la simple opposition. Il nous faut donc essayer, sans doute maladroitement, d’apprécier les résonances de l’un et l’autre de ces deux termes.

 

 

  1.  ALTERITE ET DEPASSEMENT

 

 

Une première remarque s’impose d’emblée : on ne peut être “ transcendant ” purement et simplement, on est toujours transcendant par rapport à quelque chose d’autre, même lorsque ce quelque chose d’autre est la nature toute entière distinguée d’un Dieu. Cela suppose une fissure dans l’opacité compacte de la chose, un écart, sinon un abîme. Ainsi, évoquer une vérité transcendante revient à la considérer comme échappant à la multiplicité des hommes et de leurs points de vue. Evoquer une transcendance d’autrui par rapport à soi c’est suggérer que chacun d’entre nous deux est un être à part entière, absolument, et non pas le prolongement de l’autre. Evoquer une transcendance de l’ego, c’est postuler son irréductibilité par rapport au flux qui le traverse et au monde qui l’entoure.[11]

 

 

Un premier sens possible du concept de transcendance serait celui de réalité extra-mentale. Une réalité transcendante existerait non seulement dans notre esprit, dans la représentation que nous nous en formons, mais également en dehors de notre esprit, en soi. La représentation mentale subjective nous renverrait à une réalité existante en soi et par soi, même si le lien qui les unit peut être considéré de façon plus ou moins lâche ou strict. Selon que l’on reconnaisse ou non un pouvoir déformant plus ou moins grand à la part subjective de réception.

 

 

La principale connotation de l’idée de transcendance demeure bien celle de supériorité. Evoquer un être ou un ordre transcendant suppose de reconnaître, fût-ce de manière tacite, la finitude et l’insuffisance de l’ordre de réalité qui est le nôtre. Nous posons un ordre transcendant, car le monde dans lequel nous vivons ne nous paraît pas parfait et souverain, mais au contraire limité, imparfait et sans doute mortel. Le contraste, ou, peut-être, le conflit, entre l’aspiration à une perfection et à une pérennité dont nous avons l’idée et dont nous caressons le rêve et le constat d’un monde qui n’est pas à la hauteur de nos attentes nous incite à postuler un ordre de réalité supérieur à celui qui nous entoure, nous étreint et nous enferme.

 

Nous ne pouvons ici nous interroger sur la possibilité de démontrer l’existence effective d’un tel ordre de réalité supérieur (ou d’un être transcendant qui en contienne et exprime l’absolue perfection) à partir de l’idée que nous pouvons en avoir. Cette question est celle de la valeur de l’argument dit ontologique, défendue par Anselme d’Aoste et Descartes, contestée ou réfutée par Thomas d’Aquin et par Kant [12].

 

 

Notons au passage que son impuissance à prouver de façon convaincante et définitive, ne remet pas en cause la portée heuristique de la recherche métaphysique, sa fécondité comme cheminement intellectuel. Une voie n’est pas une preuve, mais elle peut néanmoins nous permettre d’avancer.

 

Dans son très beau Le désir d’éternité (Paris, 1943), Ferdinand Alquié exprime précisément ce sentiment d’une plénitude désirée justement sous le mode de son absence. Notre conscience est plongée dans le temps. Elle en ressent d’autant plus la nostalgie d’une éternité à laquelle elle aspire et qui lui fait défaut. Nous touchons là sans doute du doigt ce qui caractérise en propre un esprit humain insatisfait de son sort, esprit qui aspire à une autre vie et à un épanouissement supérieur d’autant plus fortement qu’il semble se heurter à un mur de finitude. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous ne vivons jamais véritablement au présent mais nous nous attardons au passé (parfois) et nous projetons sur l’avenir. L’homme d’une certaine façon ne supporte pas d’habiter sa propre demeure, car il s’y sent prisonnier à cause de ce désir d’éternité qui le taraude sous des formes certes diverses et contradictoires. 

 

 

La condition humaine semble marquée au sceau du tragique. Ce caractère propre qui la poursuit et dont elle ne parvient à se libérer ne lui est pas d’abord imprimé par quelque évènement extérieur contingent (sans nier que les situations limites puissent l’intensifier, comme le soulignait Karl Jaspers) mais lui vient en réalité du fond d’elle-même, de sa constitution même de conscience finie. En effet, une conscience finie comme telle est constitutivement et essentiellement tourmentée et déchirée, car la conscience se heurte justement à la finitude en raison de ce désir d’infini qui est le propre de l’esprit réfléchi. Il y a dans cette cohabitation paradoxale de la conscience et de la finitude la racine même des contradictions d’un esprit humain qui désire ce qui lui fait essentiellement défaut. C’est pourquoi l’homme ne parvient pas à une véritable coïncidence avec lui-même. Ce que laisse entendre avec génie, entre autres, le Peer Gynt d’Henrik Ibsen.

 

 

La notion de transcendance prend ainsi tout son sens en creux. L’absence d’un être révèle l’intensité de l’amour et du désir que nous lui portons. Le transcendant peut ainsi se définir comme ce qui serait susceptible de combler un tel désir d’éternité, ce qui déborde notre finitude et que notre esprit pourtant continue à viser et à envisager, fut-ce comme irréel.

 

 

L’idée de transcendance renvoie nécessairement à celle d’une hiérarchie de l’être et des valeurs. Elle rompt avec celle d’une pure univocité. Autrement dit, elle brise l’étreinte du monisme et nous laisse entendre qu’il n’y a pas un seul niveau suffisant d’être, d’existence, de vie et de valeur.

 

 

Au sens le plus fort du terme, on peut néanmoins se demander s’il ne faut pas encore apporter une précision de première importance : pour qu’il y ait véritablement transcendance au sens le plus fort et plus authentique du terme, il ne suffit pas d’établir une gradation à l’intérieur même de la nature et du monde mais encore faut-il poser l’existence d’un au-delà (idéel ou réel) du monde. En quelque sorte, il ne s’agit pas d’un étage supplémentaire d’une même maison, mais de ce qui surplomberait la maison elle-même. Nietzsche critiquait les « arrière-monde »[13]. En effet, il semble qu’une éventuelle réalité transcendante relève non de ce monde-ci mais d’un autre ; mieux, qu’elle soit autre que la nature[14].

 

 

L’adjectif peut certes s’appliquer à un ordre de réalité dont on postule l’existence. Il peut qualifier également, nous l’avons dit précédemment, une dimension idéale, un dynamisme du désir, une perspective éthique ne correspondant pas à quelque réalité extra-mentale mais exprimant simplement la visée même de l’esprit humain.

 

 

Nous nous trouvons peut-être là précisément à la croisée des chemins, entre deux conceptions somme toute possibles de la transcendance : selon la première, dans une perspective métaphysique et réaliste, il s’agit de désigner, fût-ce imparfaitement, un ordre des choses et de l’être existant en dehors de l’esprit humain, de ses rêves, de ses projections idéales. Au contraire, selon la seconde, il s’agit d’un dépassement de la conscience par elle-même, d’une vision et d’une visée, lesquelles, loin de renvoyer à une réalité transcendante, expriment simplement le mouvement même qui traverse l’esprit humain et l’anime de l’intérieur.

 

 

  1. IMMANENCE

 

 

La notion d’immanence suggère que nous nous trouvons à l’intérieur d’un monde et que nous nous y déployons. L’immanence comme telle n’est pas forcément liée à l’immanentisme : ce dernier, véritable prise de position métaphysique, consiste à affirmer que tout est immanent, autrement dit que « tout est intérieur », qu’il n’y a rien qui ne soit extérieur  à ce tout que l’on peut appeler, suite à Marcel Conche, la nature.

 

 

L’immanence bénéficie d’un certain privilège par rapport à la transcendance : d’emblée, elle constitue une dimension incontournable et indéniable. Une doctrine métaphysique peut en effet nier la transcendance ; elle peut certes poser une exigence de sacrifice de l’immanence au nom d’un idéal transcendant. Elle ne peut pourtant nier que nous nous trouvions de plein pied dans l’immanence, même si nous aspirons à échapper à ses limites.

 

 

Lors même que l’idéal éthique et spirituel nous conduit au sacrifice, il n’est pas possible de nier notre inscription dans l’immanence. Le sacrifice constitue pourtant l’expression la plus radicale et la plus décisive du primat de la transcendance sur l’immanence. En effet, le sacrifice constitue l’attestation souveraine (témoignage voulu éloquent et néanmoins souvent effrayant) d’une domination totale de la transcendance sur l’immanence. Une culture de l’immanence, comme la nôtre, refuse, en tout ou en partie, l’idée de sacrifice, même si elle en ressent néanmoins le charme possible, sur le mode de la nostalgie, au travers des fictions. Une culture de la transcendance l’exalte et l’honore, même si à l’évidence la faiblesse humaine se dérobe souvent face à une perspective aussi absolue et lui préfère le compromis, voie de survie, sinon d’un plus grand confort. Pourtant, paradoxalement, le sacrifice rend bien un hommage incontestable à l’immanence elle-même. Une spiritualité de la pure vacuité ignore elle aussi le sacrifice. Pour que ce dernier prenne sens et revête une grandeur, il faut bien que ce qui est sacrifié ne soit pas néant ou illusion mais garde une véritable consistance et une authentique valeur. En ce sens, les spiritualités et les morales qui préconisent une immolation de l’immanence pour mieux honorer et glorifier la transcendance revalorisent ainsi indirectement cette immanence elle-même, au moins dans une certaine mesure, et jusqu’à un certain point. Un don offert suppose la qualité de ce qui est offert (au moins supposé par le donateur pour qu’il y ait l’intention de donner). Le renoncement choisi et consenti en vue d’exalter la transcendance suppose au départ, et comme condition incontournable, une certaine positivité de l’objet du renoncement lui-même, sa consistance propre : sans quoi, cette démarche perd de son sens et de sa noblesse, devient insignifiante et se confond avec une simple prise de conscience. Ce paradoxe du sacrifice peut-être considéré comme l’indice d’une contradiction mortelle et mortifère affectant un tel chemin d’exigence, lequel ne peut s’empêcher de saluer ce qu’il humilie, et dans une égale proportion. On peut également y voir plutôt une attestation indirecte et sans doute contournée d’une harmonie supérieure, sinon mystérieuse, entre l’affirmation de la transcendance et celle de l’immanence.

 

 

En même temps, cette priorité de l’immanence n’implique pas une sorte de primat axiologique universellement reconnu. En effet, le fait que nous soyons plongés dans l’immanence ne signifie pas que cette inscription initiale ait plus de valeur, d’autorité et d’importance qu’une référence à la transcendance. L’un des enjeux du débat tient d’ailleurs à la possibilité de placer l’accent soit sur l’immanence, soit sur la transcendance. La problématique suppose d’ailleurs au départ la possibilité effective d’un conflit, d’un choix entre deux dimensions,  dont on pourra privilégier l’une ou l’autre. L’antériorité chronologique ou ontologique n’a pas forcément valeur de primauté. En d’autres termes, si nous sommes bien d’abord plongés dans l’immanence, à l’intérieur de la nature, il ne s’ensuit pas, de façon évidente, que cette immersion originelle soit pour notre esprit humain le constitutif dernier, l’élément le plus essentiel de notre spécificité. Au contraire, on peut estimer que, pour incontournables et indéniables que soit en effet – qui pourrait le contester - cet ancrage et cette position, la spécificité de l’homme consiste au contraire à en émerger. Certes, il s’agit là d’une condition paradoxale mais qui pourrait précisément éclairer un peu cette énigme qu’est l’homme pour lui-même, « citoyen de deux mondes »[15].

 

 

Dans la perspective chrétienne, l’immanence ne se présente plus dans un état de bonté originelle flétri et blessé en réalité par le péché originel. Certes, selon un antique adage, « les constitutifs naturels demeurent intègres ». En ce sens, l’homme n’est certes plus à la hauteur de lui-même suite à la chute mais il continue à déployer une intensité de l’immanence sans doute diminuée et altérée, mais pourtant toujours réelle et active. Il n’en demeure pas moins qu’il ne s’agit plus seulement de respecter une immanence qui s’impose comme un point de départ mais plutôt de guérir une nature blessée.

 

 

Dans une toute autre perspective, on peut également se demander s’il s’agit de libérer l’immanence de la transcendance ou s’il ne s’agit pas plutôt de libérer l’immanence elle-même de tout ce qui l’enferme et l’aliène. Les passions exercent sur l’homme une domination dont la quête philosophique passe par la libération. Spinoza ne se limite pas à nous libérer des chimères de la transcendance ; le premier salut proposé demeure bien la libération des passions qui nous aveuglent. En particulier, le philosophe entend dénoncer et combattre les passions tristes [16]. Descartes, s’il reconnaît l’extrême utilité des passions, assigne pourtant à la volonté cet objectif d’une maîtrise et d’une véritable domestication[17]. Comme si, indépendamment d’une référence possible à une transcendance, sans aborder ici l’hypothèse d’un secours surnaturel venu d’en-haut, l’immanence devait d’abord se guérir elle-même comme la nature malade d’Hippocrate recouvre la santé [18].

 

 

En ce sens, il est de toute manière important d’établir une distinction entre l’immanence telle qu’elle se livre en son épure parfaite et les conditions concrètes de notre existence qui en colorient et en modifient l’appréhension et le déploiement. Indépendamment des explications recherchées pour retracer l’étiologie de cette situation présente, force est de constater les éléments négatifs qui s’ajoutent aux dynamismes positifs et aux potentialités parfois entravées. 

 

  1.      POSITIONS ET CONTEXTE

 

 

L’avènement de la subjectivité individuelle et la prise de conscience de la légitimité d’un épanouissement singulier situent d’une façon particulière l’affirmation de l’immanence et de la transcendance. Les défenseurs de la transcendance devront en quelque sorte se justifier face au soupçon qui pèse sur elle de menacer, d’affaiblir et peut-être d’exténuer la vitalité de l’immanence. Dans un contexte qui reste dominé par la référence religieuse monothéiste, en revanche, il s’agit surtout de savoir dans quelle mesure l’exaltation de l’immanence demeure légitime, étant entendu au départ que la reconnaissance de la transcendance s’imposait en priorité, de façon incontournable. Ainsi, selon les époques, les lieux, les cultures et les mentalités, il s’agira de déployer des apologétiques toutes différentes, sous des angles presque opposés. Il pourra s’agir de montrer que poser une référence transcendante ne nous empêche pas d’être nous-mêmes, d’inventer notre vie, d’en définir librement les axes de fond et les contours. Il pourra s’agir plutôt de justifier, au sein même d’une attitude globale de sujétion, que cette référence globale et décisive à un ordre imprimé d’en haut ne contredise pas l’existence réelle d’un espace important de liberté et de libre déploiement.

 

 

En résumé, à certaines époques, c’est plutôt l’autonomie de l’immanence qui est mise en cause, sinon en procès. A d’autres époques, comme sans doute en large part dans nos sociétés occidentales actuelles, l’accusation se porte surtout contre la transcendance elle-même au nom d’une liberté, d’une autonomie, d’une indépendance de l’homme. On pourrait même se demander si la « pensée correcte » n’a pas changé de camp tout en restant profondément exclusive. Le soupçon ne s’exerce plus à l’endroit des hérauts d’une immanence affranchie mais davantage à l’endroit de ceux qui veulent envisager une référence transcendante. Certes, ce constat devrait être nuancé, et ce pour deux raisons. D’une part, cette émancipation concerne davantage les intelligentsias (souvent autoproclamées telles) des pays les plus aisés ; d’autre part, elle s’accompagne d’un regain du religieux, certes sous des formes nouvelles et différenciées, parfois syncrétistes. En ce sens, il serait sans doute plus heureux de parler d’une mutation d’un sacré qui retrouverait ainsi indirectement sa place [19] mais qui constitue un démenti indéniable à la thèse d’une sécularisation constante et linéaire sonnant le glas du sacré. L’évolution d’un Harvey Cox [20]nous semble à ce titre particulièrement éloquent. Ce penseur et sociologue préconisa d’abord une rupture radicale avec la religion et le sacré avant d’annoncer le retour de Dieu. Pour le journaliste Georges Suffert, le cadavre de Dieu bouge encore (Paris, 1975) !  

 

 

Une certaine étape est sans doute franchie, aussi bien pour une conscience personnelle, que pour une mentalité dominante d’une société, lorsque l’homme n’éprouve plus le besoin de se justifier, dans son agir et dans ses choix éthiques, par rapport à une autorité morale et judiciaire transcendante. La question semble loin de se réduire à un seul aspect, par exemple intellectuel. On peut dire que la réflexion métaphysique s’entrelace là avec des réactions psychologiques, peut-être très obscures. L’évolution d’une société et d’une culture se trouve à la fois stimulée et illustrée par les écrits des penseurs et les chefs d’œuvre des artistes. Au-delà des réflexions des philosophes, une atmosphère d’ensemble à laquelle l’homme ne saurait manquer de participer, même s’il s’en défend et même s’il s’y refuse, vérifie une mutation globale, que confirment malgré elles les exceptions qui tentent de la démentir, sinon de l’inverser. Or, il nous semble, pour reprendre les mots d’Hannah Arendt que “rien peut-être ne distingue plus radicalement les masses modernes de celles des siècles passés que la perte de foi en un jugement dernier”[21].

 

 

De plus en plus, au fil des siècles, s’impose un certain athéisme pratique non pas forcément consommé et radical, sans argumentation théorique sous-jacente sur l’existence ou non d’une réalité transcendante extra-mentale telle que le Dieu de la Bible. Il s’agit en fait de vivre “etsi Deus non daretur”. L’hypothèse d’un Dieu transcendant semble comme dépassée, et en même assimilée comme un élément du patrimoine de notre civilisation. Les penseurs croyants eux-mêmes paraissent renoncer à prouver Dieu d’une manière ou d’une autre. “Il est frappant de constater qu’aujourd’hui on ne prouve plus guère Dieu, comme le faisaient saint Thomas, saint Anselme ou Descartes. Les preuves restent d’ordinaire sous-entendues et l’on se borne à réfuter la négation de Dieu soit en cherchant dans les philosophies nouvelles quelques failles par où puisse reparaître la notion toujours supposée de l’Etre nécessaire, soit au contraire, si décidément ces philosophies la mettent en question, en les disqualifiant brièvement comme athéisme”[22]. Autrement dit, l’affirmation d’une transcendance effective, non un autodépassement de l’esprit humain, non pas une simple ouverture sur l’infini et le mystère, mais l’affirmation ontologique compacte d’une réalité qui s’impose à nous va de moins en moins de soi. De sorte que s’en dispenser dans la sphère de l’existence personnelle et communautaire n’appelle plus forcément, sauf exception, une justification argumentée. On peut sans doute dire que la discussion s’est déplacée de la sphère théorique à la sphère pratique. Ainsi, selon Jacques Monod, “il n’est pas question de prouver que Dieu n’existe pas. Personne n’y parviendra jamais. Dieu est une hypothèse dont la science ne peut pas s’occuper”[23]. Certains retours à un Dieu de la science, celui d’Albert Einstein, celui de la Gnose de Princeton, se réfèrent à une intelligence souveraine abstraite plus proche du Dieu immanent de Spinoza ou de Léon Brunschvicg[24] que d’un être transcendant. Il y a certes là une tentative intéressante de dépasser l’alternative “théisme/athéisme” mais sans retour pensable à une transcendance objective[25].

 

 

Nous nous trouvons donc à une époque où l’athéisme, c’est-à-dire la négation radicale de toute transcendance divine, n’a même plus le besoin  intérieur de se définir comme tel. Au contraire, le privatif semble acquis, facile. Comme l’analyse très bien Jean Baptiste Metz : “ il s’agit avant tout aujourd’hui d’une incroyance d’un type nouveau, celui d’une ère “post-athéiste”. L’incroyance, de nos jours, quoi qu’il en soit de l’extrême complexité du phénomène qu’elle représente, a en effet plus ou moins cessé d’être ce qu’on pourrait appeler une “incroyance directe”, cette attitude dont la base essentielle était la négation explicite de la foi. La première impression que donne l’incroyance contemporaine est moins celle d’un système dirigé contre la foi que celle d’une possibilité positive d’exister, d’être totalement homme, en se passant de la foi[26]. Nous touchons là du doigt le primat de fait de l’immanence dans la vie des hommes d’aujourd’hui, qui peut aller jusqu’à l’exclusive. Doit-on ouvrir une brèche? Peut-on s’en dispenser en intensifiant et en savourant l’immanence? Le défi intellectuel et existentiel s’avère considérable. N’aurions-nous pas atteint un point de non-retour ? Faut-il dire comme Jean-Luc Nancy : “ la mort de Dieu a exigé et suscité une pensée qui se risque là où Dieu n’assure plus ni l’être, ni le sujet, ni le monde. A ces extrémités, sur ces abîmes, ou dans ces dérives, aucun Dieu ne saurait revenir”[27]. Pour un grand théologien allemand, d’ailleurs : “ une chose semble acquise : nous vivons à une époque dépourvue de place pour parler de Dieu. Il s’ensuit l’impossibilité de plus en plus grande de penser Dieu, ainsi que le mutisme théologique, même quand il est camouflé sous un flot de paroles”[28]. Ce sont les hérauts même de la transcendance plutôt que ses contempteurs qui sont saisis à la gorge par l’interrogation, le sentiment d’être déphasés, d’avoir perdu la maîtrise du terrain : “ Dieu peut-il encore avoir lieu”[29] ?

 

 

Luc Ferry nous semble décrire assez justement cette immanence athée : “ en première approximation, on pourrait dire que ce qui caractérise au mieux l’époque contemporaine, du moins dans les démocraties occidentales, c’est la conviction, joyeuse ou nostalgique selon les cas, que la réussite ou l’échec d’une vie ne saurait plus désormais s’évaluer à l’aune d’une transcendance. Conséquence majeure : comme l’avait compris Nietzsche, qui fut à cet égard le premier et plus puissant penseur des temps modernes, c’est à l’intérieur de la vie concrète, sans sortir de la sphère de l’humanité réelle, ni la fuir vers quelque principe supérieur, que nous décrétons une existence plus ou moins “réussie” et “enviable”, plus ou moins riche et intense, plus ou moins digne d’être vécue ou, au contraire, médiocre et appauvrie. Et nul doute que dans ces conditions, la première réponse qui s’impose à nos éventuelles interrogations sur la vie bonne, rejoigne la logique du rêve éveillé : s’il n’est plus de transcendance, alors pourquoi, en effet, ne pas cultiver la performance pour la performance, le succès pour le succès, la vie réussie plutôt que bonne, ici et maintenant plutôt que dans un désormais hypothétique au-delà ? ”[30]. Le risque qui apparaît alors est celui d’une “irrémédiable atomisation de ces individus que plus rien ne relierait entre eux”[31]. En même temps l’occultation de la transcendance n’empêche pas que se développe une vision de l’existence centrée sur la relation entre les personnes : “ le sens n’existe que dans une relation de personne à personne, que dans le lien qui unit deux volontés, qu’elles soient pensées ou non comme purement humaines ”[32].

 

 

L’individu ne ressent plus de la même manière son entrée dans l’existence et dans la vie sociale comme l’accès finalement progressif et aisé à une communauté qui l’encadre et le soutient. Non seulement se confirme le passage de la communauté naturelle et matricielle à une société définie par des buts et des choix, déjà analysé à la fin du dix-neuvième siècle par un Ferdinand Tönnies[33], mais en définitive chacun invente autrement sa vie, en fonction de ce qu’il est et aussi de nouveaux réseaux sélectifs qui se forment, grâce à des appartenances choisies[34].

 

 

Le critère d’une vie réussie et accomplie, ne se présente plus tellement alors comme une conformité à un ordre supérieur, mais plutôt comme une intensité, une qualité subjective de vie, une actuation plénière. L’idée est loin d’être neuve : Aristote et Spinoza, d’une certaine manière, nous proposent l’un et l’autre déjà une morale du perfectionnement[35]. Néanmoins, l’intensification de la puissance d’exister, du vivre, tend à devenir le critère premier et dominant des choix existentiels, jointe à l’authenticité : se réaliser soi-même tel que l’on est, pourvu que cela nous convienne. Dans une certaine mesure, il est certain que même les morales de la transcendance ne négligeaient pas totalement l’harmonie entre un devoir et le désir du sujet. Ce serait se livrer à la caricature que de soutenir que les visions antiques ou médiévales de l’homme faisaient complètement fi de cette dimension subjective, personnelle. Pour autant, il n’en est pas moins vrai que la modernité souligne cette dimension avec une exigence toute particulière, et désormais incontournable nous semble-t-il. 

 

 

A cet égard, une interrogation doit absolument être évoquée : celle du lien entre le sacré et la transcendance. Ne peut-on envisager, certes à rebours des monothéismes, une religiosité diffuse de la pure immanence et même une véritable mystique qui loin de nous projeter vers un horizon inaccessible nous plonge au contraire dans les profondeurs de l’immanence ? Faut-il établir une sorte d’équivalence trop simple entre la religion et la transcendance ? Faut-il au contraire souligner l’extrême diversité et l’hétérogénéité des chemins spirituels ? Si certaines écoles nous décentrent de la nature et nous font anticiper l’avènement d’un royaume de type transcendant, d’autres, au contraire, et non des moindres (comme le bouddhisme) ne se soucient guère d’une transcendance et nous laissent davantage immergés dans des profondeurs de l’immanence auxquelles elles nous reconduisent [36].

 

 

Nous ne pouvons, dans les limites de cette étude, entreprendre une recherche, d’abord de type historique, sur l’ensemble des religions et spiritualités afin d’en identifier un éventuel constitutif transcendant (ou « transcendantal », autrement dit visant une transcendance de l’esprit). D’ailleurs, une entreprise aussi ambitieuse se distingue de notre objectif présent qui est surtout de poser un problème précis et d’envisager une harmonie possible (ou alors de la contester radicalement). Les questions posées (ou que l’on peut se poser) au sujet des religions et de l’histoire des conceptions du sacré sont si vastes qu’attendre des solutions précises pour tenter de dégager le rapport entre transcendance et immanence nous conduirait peut-être à une procrastination perpétuelle. Il semble d’autant plus légitime de s’en dispenser que notre sujet ne porte pas sur l’éventuelle opposition irréductible entre les religions et l’immanence mais sur « transcendance et immanence » indépendamment de nos possibles conclusions sur le fait religieux. Ceci étant dit, des univers mentaux, singuliers et collectifs, imprégnés d’une référence à la transcendance posent, par la force des choses, différemment notre sujet qu’une civilisation étrangère à la révolution monothéiste.

 

 

Plus encore, tout au long de notre réflexion, nous ne pouvons négliger de nous demander si le sujet tel que nous le posons, loin d’avoir une portée universelle n’exprimerait pas en réalité qu’un débat interne justement aux seules sociétés occidentales, héritières de l’Antiquité gréco-latine et la tradition biblique. Répondre à une telle question supposerait peut-être de s’extraire du milieu vital et mental dans lequel nous sommes plongés. A l’évidence, nous creusons l’écart et prenons nos distances à l’endroit de ce moule qui nous a pourtant façonnés. En même temps, il ne semble pas du tout acquis que nous puissions totalement nous en arracher. Celui-là même qui se révolte contre l’arbre de Jessé intellectuel qui le soutient pourrait bien à son insu, y compris dans cette rébellion même, demeurer conditionné (nous n’irions pas jusqu’à dire déterminé) par l’objet de son combat et parfois de sa haine. L’ennemi pourfendu est souvent le frère ennemi, ou le voisin proche aux charmes duquel nous succombâmes avant de nous le reprocher en l’étrillant avec une particulière vigueur. Ou peut-être notre propre double, la part niée de nous-mêmes ? Sacha Guitry avait ce mot : « contre, tout contre ». Sans prétendre ici donner un éclairage substantiel à cet égard, nous voulons simplement inviter l’ami lecteur à une vigilance ininterrompue. Tant il demeure vrai qu’une considération particulière reste située dans un contexte et que ce contexte, qui nous traverse malgré tout de l’intérieur, oriente en définitive nos façons de poser les problèmes et nos recherches de solutions. Une telle prise de conscience ne nous permettra certes pas de nous distancier totalement de l’ancrage qui est le nôtre. Il pourra néanmoins nous mettre en garde contre des positions dogmatiques très définitives dont nous n’avions jusqu’alors point mesuré à quel point elles constituent un angle de vision potentiellement réducteur. 

DEUXIEME PARTIE : LE GRAND CONFLIT

 

 

Notre réflexion nous pousse à nous demander s’il est légitime et possible, au moins dans l’idéal, de poser ensemble la transcendance et l’immanence, de les affirmer de concert sans fausse note. Cette recherche de fond ne saurait faire l’impasse du constat d’un conflit qui peut bel et bien exister entre ces deux dimensions dans l’esprit des hommes qui les affirment.

 

 

De fait, pour un grand nombre d’esprits, que la chose soit systématisée de façon très rigoureuse ou plus implicite, ce sera l’une, ou ce sera l’autre. C’est ainsi, peut-être, que pourrait s’exprimer le premier modèle de relation entre la transcendance et l’immanence : l’une exclut définitivement l’autre. Si je pose une transcendance, j’exténue l’immanence, et vice versa. Nous avons vu qu’une certaine expérience psychologique est traversée, parfois secrètement, par cet antagonisme irréductible.

 

 

C’est Michel Onfray qui donne aujourd’hui la formulation la plus explicite de cette position, telle qu’un athée radical peut la cultiver : “ l’athéisme suppose la conjuration de toute transcendance. Sans exclusive ”[37]. Il s’agit d’évoluer “ sur le terrain de l’immanence pure, dans le souci des hommes, par eux, pour eux, et non par Dieu, pour Dieu ”[38]. Onfray se range aux côtés de ceux qui “ savent qu’il n’existe qu’un monde et que toute promotion d’un arrière-monde nous fait perdre l’usage et le bénéfice du seul qui soit ”[39]. Toutes les affirmations de cet auteur supposent une opposition en quelque sorte irréductible entre l’immanence et la transcendance, au point qu’elle en devient pratiquement une grille de lecture, sinon de relecture, de l’Histoire elle-même.

 

 

On peut certainement dire par exemple qu’il y a deux types de visions de la culture : l’une, davantage focalisée sur le pôle de la transmission fidèle; l’autre, davantage soucieuse d’une nouvelle créativité. Cela correspond sans doute à deux types de tempérament. L’un, plus créatif, désireux de nouveauté, l’autre, plus conservateur, soucieux non seulement de transmettre mais encore de préserver. Dans une certaine mesure, il y a d’ailleurs entre ces deux postures davantage de complémentarité que d’antagonisme irréductible. Or, les sociétés traditionnelles concevaient surtout les instances gouvernementales et culturelles comme gardiennes d’une transcendance qu’une innovation véritable menacerait. Pour elles, il en va de la conservation même du lien social. Ces sociétés valorisent donc l’âge mûr, contrairement aux nôtres[40], ignorent la mode[41], redoutent systématiquement le changement. Les qualités sociales de l’individu sont alors la soumission, la fidélité, la stabilité, l’obéissance. L’artiste même ne se présente pas comme le champion de l’intensification nouvelle de son immanence mais davantage comme un intercesseur, un médiateur, entre un absolu plus élevé et les hommes d’ici-bas. On peut donc à bon droit parler d’une transcendance qui s’affirme en bridant l’immanence[42], ou du moins en en limitant le déploiement et la fantaisie.

 

 

L’athéisme philosophique, dans ses nombreuses variantes historiques[43], semble comme parcouru par cette crainte qu’une transcendance ne prive l’homme et la nature de leur consistance propre et de leur activité créatrice spécifique. En somme, la transcendance serait la grande rivale de l’immanence l’empêchant de s’accomplir. Elle serait aussi une projection aliénante sur fond d’arrière-monde illusoire de ce qui, en réalité, revient à l’homme lui-même, fût-ce à l’état de potentialité éloignée.

 

 

Au-delà, et en amont, de nos formes modernes et contemporaines de contestation de la transcendance, il n’est pas possible d’oublier une certaine permanence de la coexistence dans l’histoire des hommes de deux grands types de vision du monde : “ une certaine apologétique se plaît à souligner l’universalité géographique et temporelle de la croyance au divin, l’adhésion unanime à une forme de théisme. En bonne méthode, une telle affirmation devrait être complétée par cette autre : l’universalité également impressionnante d’un certain athéisme, la présence d’une pensée selon laquelle aucune divinité n’est à l’origine du monde ou à l’œuvre dans le monde. La coexistence de ces deux tendances, que l’on peut retrouver aussi bien chez les philosophes de la Grèce Antique que dans les cultures primitives chez certains adultes ayant cessé de croire aux mythes et aux rites traditionnels, suggère l’idée de la permanence, dans l’humanité, d’un conflit ou d’une antinomie psychologique se poursuivrait, au cours de la croissance, soit dans la ligne de la croyance religieuse, soit dans la ligne de l’incroyance”[44]. André Godin, psychologue belge, nous parle du point de vue de sa discipline. On pourrait le transcrire au plan proprement philosophique comme deux visions, théoriques et pratiques, de l’existence, l’une axée sur l’immanence et l’autre sur la transcendance, même si par ailleurs, des références religieuses, au contenu parfois évanescent, peuvent foisonner.

 

 

Il y a cependant des cultures de l’immanence ou la question d’une éventuelle transcendance ne semble même pas se poser. François Jullien, dans son étude de la pensée chinoise, nous invite au dépaysement : “ nous ne rencontrerons pas en elle certaines des interrogations qui sont à la base de notre tradition philosophique - née de la Grèce. Les penseurs chinois, par exemple, ne songent point à mettre en doute le sensible, jamais ils n’opposent l’“apparence” à la réalité. Plus généralement, nous ne voyons pas émerger de leur réflexion certains des objets majeurs de notre préoccupation philosophique : ils ne sont conduits ni à penser l’être ni à penser Dieu”[45]. Nous nous demanderons plus loin, un peu dans une veine spinoziste, si la mise en perspective binaire “transcendance / immanence” ne pourrait au fond être liquidée par son écoulement dans un monisme des différences. Il était bon déjà de relativiser en quelque sorte les pages qui suivent immédiatement pour ne pas trop généraliser nos impressions occidentales.

 

 

Cette parenthèse s’échappant vers l’Orient ne nous dissuade pas pourtant, dans une perspective peut-être géographiquement et culturellement mieux située, d’aborder la récurrence d’un conflit dont il convient à présent de mieux préciser les données.

 

 

I. UN PARTAGE DES AUTORITES

 

 

L’observateur, même distrait, de la marche du monde ne manque pas d’être frappé par l’importance et la permanence des conflits qui souvent ensanglantent la planète et qui tiennent d’abord souvent d’une rivalité de pouvoirs. A commencer par la volonté de dominer tel territoire également convoité par un prochain, et parfois plusieurs. Les chats eux-mêmes se livrent souvent des combats farouches, surtout lorsque l’un d’entre eux s’aventure par malheur sur le territoire d’un autre. Mais, à un tout autre niveau, le même conflit intéresse cette fois le cadastre mental et non plus simplement les étendues locales. Qui sera juge pour telle ou telle question ? Une discipline pourra-t-elle être autonome ? Qui aura droit de contrôle, et peut-être devoir ? Qui, au contraire, de son point de vue, ne saurait s’arroger une telle prétention ?

 

 

L’idée de transcendance semble impliquer un point de vue supérieur, une autorité plus haute. Le conflit se déroule en particulier sur deux plans: d’une part au niveau de l’autorité au temporel et des éventuelles prétentions des gardiens de la transcendance d’y exercer leur autorité; d’autre part, au niveau des savoirs et de la prétention à dire du vrai.

 

 

1. Le temporel et le spirituel transcendant

 

 

L’idée de “spiritualité” n’implique pas forcément la référence à une transcendance. Nous essayerons de penser, plus loin, une spiritualité de l’immanence. Pour l’heure, c’est le conflit, ou au moins la tension, entre une autorité horizontale et une référence transcendante verticale qui retient davantage notre attention.

 

 

On pourrait retracer ici des pans entiers de l’histoire de l’Occident, les multiples affrontements qui ont vu le jour, les tensions séculaires et récurrentes. On peut songer aux conflits entre la Papauté et l’Empire[46] au Moyen Age, et plus tard en France aux revendications de l’Eglise gallicane liée à Louis XIV contre le Saint-Siège[47]. On ne peut davantage oublier les heures d’affrontement entre les pouvoirs temporels et des courants dissidents, comme les jansénistes en France[48]. Ni le joséphisme en Autriche ou la Révolution française et sa volonté de combattre l’héritage catholique, mais surtout l’influence extérieure du Pape dans la vie du pays, pour inventer autrement le lien social[49]. Ni, plus récemment, la séparation de l’Eglise et de l’Etat en France, ni les tensions, par exemple qui existent aujourd’hui en Espagne, entre le gouvernement socialiste de Zapatero et l’épiscopat. Le pouvoir temporel et l’institution spirituelle se sentent nettement rivaux, se disputent des prérogatives. Les très nombreux conflits, les fréquents “bras de fer” illustrent très bien, à notre avis, une dimension de l’antagonisme entre l’immanence et la transcendance, ou plus précisément entre les pouvoirs humains qui se réfèrent à l’une et à l’autre. 

 

 

Dans notre perspective, au-delà des épisodes historiques, c’est la théorisation du conflit qui nous semble devoir attirer l’attention. Et d’abord, les ambitions des tenants de la transcendance de chapeauter en quelque sorte le pouvoir temporel, dont l’autonomie ne saurait ainsi être, tout au plus, que   partielle et relative. La querelle des investitures, qui s’achève seulement en 1122 avec le concordat de Worms, signé entre le Pape franc-comtois Calixte II et l’Empereur Henri V donne le coup d’arrêt à une suite d’épisodes presque rocambolesques, dont le plus célèbre est le pèlerinage pieds nus de l’Empereur Henri IV à Canossa. Par la suite, les problèmes politiques entre les Papes et l’Empereur Frédéric II, au treizième siècle, illustrent un même conflit de fond. En 1302, le Pape Boniface VIII, qui aura bien maille à partir avec le roi de France Philippe IV le Bel, dans la bulle “Unam Sanctam” expose doctrinalement cette conception. En somme, il n’y aurait pas une distinction entre deux pouvoirs autonomes l’un par rapport à l’autre mais deux pouvoirs articulés, l’un supérieur à l’autre et le dominant. Cette vision refuse totalement cette sphère de non- compétence, cette zone franche dans un ordre propre de l’autorité exercée au nom d’une transcendance religieuse qui constitue justement un espace de laïcité. C’est précisément cette hégémonie affirmée qu’un Dante Alighieri vise à combattre dans sa Monarchia en délimitant strictement les compétences réciproques de l’un comme de l’autre des pouvoirs (temporel et spirituel)[50]. En arrière-fond se décline bien la question des rapports entre le spirituel et le temporel. Pourtant, dans l’esprit du poète florentin, il ne s’agit pas d’une pure transposition ou d’un cas particulier du rapport entre transcendance et immanence. En effet, Dante ne confond pas, dans sa Monarchia, l’autorité ecclésiastique, qui la représente, avec la transcendance elle-même. Il maintient un écart. L’autonomie affirmée par Dante à l’égard de l’autorité ecclésiastique ne l’empêche pas de souligner la dépendance des deux autorités, séculière et ecclésiastique, par rapport à leur commune source transcendante[51]. Laquelle, par conséquent, n’entre pas dans le cas d’espèce en conflit direct avec une marge franche reconnue au pouvoir temporel. On mesure d’ailleurs, en passant, ce qui distingue là Dante de la modernité. Cette modernité se fonde peut-être sur un acte de transgression ou du moins d’émancipation à l’égard d’un ordre transcendant et non point simplement sur une mise en cause d’une autorité cléricale en fait bien humaine (et opposée à des revendications elles aussi humaines). 

 

 

Il convient d’ailleurs d’ajouter que les théologiens eux-mêmes en viennent à accepter une séparation des deux types de pouvoir sans pour autant remettre en cause la subordination globale à l’endroit d’une autorité transcendante fondatrice.

 

 

Ce constat nous semble d’une particulière importance : il révèle qu’un conflit entre deux autorités dont aucune n’est absolue (même si l’une d’entre elles est de type religieux et en référence à une transcendance) se distingue radicalement du conflit entre une autorité relative et une autorité absolue, par exemple celle de Dieu lui-même et non plus seulement de son vicaire, à savoir de celui qui le représente. Certes, on est en droit de reconnaître comme un air de famille entre les deux types de conflit déjà en ce sens qu’ils engagent profondément sans doute une perspective globale qui donne sens aux aspects périphériques et secondaires. Il est bien évident que la question de savoir jusqu’où une autorité religieuse possède ou non la légitimité justifiant son intervention sur telle question politique renvoie par la force des choses à un cadre d’ensemble. Ainsi, une doctrine métaphysique de la pure immanence rendra-t-elle cette question même oiseuse et sans fondement. Ou plutôt, elle rendra indispensable le combat contre toute prétention d’introduire une référence illusoire et aliénante[52]. Ceci étant, il est tout à fait possible à partir d’une même métaphysique de la création et de la transcendance d’envisager des scénarios fort différents quant aux applications et conséquences qui en découlent. Certaines querelles peuvent donc se prolonger au sein même d’une volonté commune d’affirmer et de défendre la transcendance. Cette précision nous dissuade de conclure trop vite en passant, par extrapolation illégitime, d’une conclusion au niveau d’un conflit entre deux autorités non absolues à un autre point d’aboutissement au niveau du rapport entre l’absolu et le relatif. Pour parler plus clairement, à titre d’exemple, l’émancipation de la raison scientifique du magistère d’une Eglise ne signifie pas en dernière instance qu’il n’y ait de science véritable qu’en niant l’existence d’une source transcendante de la connaissance. Or ce sont précisément des raccourcis erronés, des simplifications et des extrapolations, qui nous font adopter des positions parfois définitives et hâtives.

  

    

2. Le conflit des magistères

 

 

Nous sommes marqués par ce que nous percevons, au risque de simplifier, comme un héritage judéo-chrétien qui nous influence encore, même lorsque nous le nions ou le combattons, comme par exemple Sartre hier, ou Onfray aujourd‘hui. Des analyses historiques circonstanciées, et peut-être contradictoires, seraient bien sûr nécessaires pour éviter de porter un jugement simpliste et rapide sur une aventure intellectuelle complexe et, à certains égards, peut-être paradoxale.

 

 

Ces nuances préalables introduites, il n’en reste pas moins que l’implantation du christianisme, dès les premiers siècles, comme l’atteste notamment l’œuvre de Justin[53], privilégie une certaine hétéronomie, la soumission à une certaine transcendance. Luc Ferry résume bien les choses : “ ce n’est plus, comme le voulait toute la tradition philosophique depuis les Grecs, par sa raison seule que chaque homme doit s’efforcer de parvenir à une juste compréhension de la rationalité universelle (logos), cosmique, dont témoigne l’organisation du monde, mais c’est par la foi, en faisant confiance (fides) au message d’un autre homme que le logos doit non pas être conquis mais reçu. Même si l’impératif reste pour une part légitime, il ne s’agit plus tant de penser par soi-même que de faire confiance à un Autre, d’accepter la nouvelle qu’il apporte et de croire dans les promesses qu’il nous fait ”[54]. Autrement dit, d’être soumis à une transcendance qui fait autorité.

 

 

De nos jours, on considère volontiers cette façon de concevoir la soumission de l’intelligence à une transcendance comme « médiévale ». Or,  justement, l’image traditionnelle et stéréotypée d’un Moyen Age très chrétien et trop croyant est de plus en plus remise en cause, par des médiévistes précis comme Jacques Le Goff[55] et Jean Verdon[56]. Depuis une cinquantaine d’années, des recherches ont permis d’identifier des germes non négligeables de matérialisme, d’agnosticisme et d’athéisme, souvent cachés, parfois inconscients d’eux-mêmes[57]. Même Cornelio Fabro, peu suspect de sympathie à l’endroit de l’athéisme, a été obligé de le reconnaître : “ cela n’empêche que dans la philosophie arabe tout comme dans la philosophie latine médiévale il existe des positions limites qui frôlent la perte de Dieu de la part de la raison humaine, ou qui peuvent amener à amenuiser l’idée de Dieu, de ses attributs fondamentaux, et à mettre ainsi en crise l’idée même de son existence”[58]. Emmanuel Leroy-Ladurie a établi l’existence d’une façon d’athéisme populaire en pleine chrétienté[59]. La foi des clercs contient sans doute des germes de contestation critique, en même temps qu’un levier très puissant de vrai renouvellement[60].

 

 

On peut également évoquer également deux philosophes qui, sans nul doute, renouvellent la problématique : Siger de Brabant et Boèce de Dacie. L’un et l’autre, s’ils ne sont pas athées au sens strict du terme, sentent un peu le souffre. Siger, en particulier, sépare très fortement les ordres du savoir. La cour de l’Empereur Frédéric II a sans doute été un foyer de très grande liberté de croyance. Esprit critique, le souverain met en doute les croyances traditionnelles, dans un esprit syncrétiste, éclectique et relativiste. Il était considéré en son temps comme un “athéiste”. De semblables soupçons pèsent sur le très sage roi d’Espagne Alphonse X de Castille. Il s’agit surtout d’un prurit de rationalisation, très différent des hérésies classiques. “Il ne faut pas confondre ces idées avec les hérésies, qui sont aux antipodes de l’athéisme théorique puisqu’elles accroissent au contraire l’aspect irrationnel de la foi”[61]. La volonté d’affranchir un espace rationnel du pouvoir de la domination de la foi religieuse révélée en constitue le nerf. Il s’agit bien de garantir un espace d’immanence. Si Anselme ressent le besoin d’argumenter (en faveur de l’existence de Dieu et de sa Providence) et de convaincre dès le onzième siècle, ce n’est sans doute pas pour rien. Cette zone franche est cependant considérée comme éventuellement subordonnée à une transcendance qui ne se situe pas au même niveau, ou en tout cas comme ne constituant pas un ordre de réalité rival de cette dernière.

 

 

Il n’en reste pas moins qu’une chape de transcendance autoritaire a lourdement pesé. Il s’agit  d’exalter le plus possible le Créateur quitte à minimiser l’autonomie, la liberté, la potentialité créatrice seconde de la créature. Cette tendance de l’augustinisme à dévaluer ainsi la causalité seconde, à s’orienter vers un certain occasionalismeante litteram’ a été bien étudiée, et mise en opposition avec la perspective thomasienne, plus positive, plus soucieuse d’honorer la nature créée et ses droits[62].  

 

 

On ne saurait minimiser l’impact décisif d’un courant multiforme, souvent en référence à Augustin d’Hippone. Nous ne voulons pas là tenter une évaluation de la légitimité d’invoquer un tel patronage. Le débat semble complexe, et l’historien oscille entre le sentiment d’une continuité et celui d’une trahison, dans l’entre-deux du jeu de la référence, qui certes déplace et transforme, mais renvoie à “quelque chose” qui devait déjà s’y trouver. Il n’y a pas de fumée sans feu. Il nous semble plus fructueux d’hypostasier, par souci didactique, au moins pour faire prendre conscience d’une tendance de la pensée, une option augustiniste (et non forcément augustinienne au sens strict) admirablement résumée par Etienne Gilson : “ entre deux solutions possibles d’un même problème, une doctrine augustinienne inclinera spontanément vers celle qui accorde moins à la nature et plus à Dieu ”[63]. Pour mesurer l’influence d’une telle tendance, on se souvient de cette remarque d’un spécialiste, Henri-Irénée Marrou : “ lorsque à partir des prodromes de la Renaissance carolingienne, l’Occident se reprend à penser et, avec les matériaux assez limités sauvés du grand désastre, s’efforce d’élaborer à nouveau une culture d’inspiration chrétienne, c’est tout naturellement que saint Augustin redevient son conseiller, son inspirateur; plus que jamais il est le Maître incontesté celui qu’on place si haut qu’il vient immédiatement après les Apôtres ”[64]. Sans doute, ne saurait-on se contenter de voir les aspects plus noirs, plus répressifs, moins humanistes et affirmatifs des augustinismes suscités ou encouragés par un tel patronage. En même temps, des tendances bien significatives aux divers augustinismes se laissent constater. Ainsi, “l’indifférence, sinon le mépris pour les causes secondes et l’insistance à souligner le rôle primordial de Dieu tant dans le mécanisme de la création que dans celui de la connaissance. On l’a vu, c’est le propre de l’Augustinisme que d’engendrer des disciples qui, par une fidélité si l’on peut dire excessive, débordent et transforment en le déformant l’enseignement même de saint Augustin”[65]

 

 

Certaines théories du rapport entre foi et raison humilient fortement cette dernière. L’immanence est volontairement bridée. L’horizon de fond d’un Pierre Damien, par exemple, reste la défiance. Les comparaisons qu’il cultive entre la raison et une servante “ne signifient pas du tout que la théologie puisse et doive s’en remettre à la philosophie du soin de telles ou telles besognes même inférieures. Elles signifient au contraire que la théologie doit n’avoir aucune confiance dans la philosophie et la maintenir avec la prudence la plus soupçonneuse dans un état de stricte servitude... C’est donc l’idée d’esclavage qui l’emporte, et de beaucoup, sur celle d’utilisation ”[66].  Lorsque le Stagirite survient sur le devant de la scène, on assiste à une sorte de crise défensive : “ un écart béant apparaissait entre la soi-disant révélation naturelle et la véritable Révélation. Découvrir Aristote, c’était découvrir d’abord que la raison humaine ne s’achemine pas spontanément vers la Révélation ”[67].

 

 

3. Vers une émancipation plus radicale

 

 

Le bilan de ce trop bref regard historique – mais il n’était qu’illustratif et non cultivé pour lui-même – semble éloquent : de fait, la prétention de la raison a été sérieusement limitée dans son déploiement propre par l’autorité transcendante de Dieu. Une situation de conflit, au moins latent, se met alors en place. L’affirmation libre de la pensée, bridée et même brimée, va en quelque sorte retrouver brusquement l’énergie qu’elle avait sacrifiée. L’émancipation nécessaire va donc se réaliser en définitive; le conflit devient alors patent. Le Rubicon de la Renaissance va être franchi. Désormais le conflit entre immanence et transcendance, tel qu’il se vérifie dans le choc entre la raison et l’autorité transcendante de la révélation et de la foi, va connaître un nouveau développement, une sorte de radicalisation.

 

 

On le sait, émergent alors une prise de conscience plus nette de la liberté et de l’affirmation de l’immanence, et même l’athéisme. Malgré la thèse fort célèbre de Lucien Febvre[68], force est de reconnaître une véritable efflorescence de l’incroyance, de la prétention humaine à l’autonomie[69]. A partir de 1500 se développent de nombreux foyers d’athéisme critique, liés à une volonté de combattre l’Eglise catholique, mais allant plus loin, s’en prenant au contenu du message, et non seulement aux éventuels abus de pouvoir des clercs. “Nul doute que, parmi les masses populaires des villes et des campagnes, ne se soient trouvés des hommes vraiment irréligieux, animés de mouvements de révolte violente”[70]. L’incroyance traduit une volonté de réhabiliter l’immanence contre son enfermement et son écrasement, au travers de la transcendance de la religion. La modernité toute entière demeure sans doute au moins marquée par ce conflit affronté.

 

 

Toujours est-il que les « pré-lumières », le combat des libertins, puis les Lumières elles-mêmes, au moins dans leur version française, sont traversées de part en part d’une telle intention émancipatrice. Les libertins entendent eux aussi “libérer l’immanence”. Nous sommes déjà au cœur de notre problème : l’immanence s’affirme en niant la transcendance, même si cette libération se situe surtout comme un combat contre l’arrogance du catholicisme dogmatique[71]. De plus en plus nettement, la pensée va prétendre s’affranchir avec le plus de netteté possible de la dépendance par rapport à la transcendance. Elle va tenter de rendre compte de la croyance même en Dieu et formuler ainsi une vision philosophique globale proprement athée. Le conflit entre transcendance et immanence parvient ainsi d’une certaine façon à un point culminant, qui se présente également comme une solution radicale et argumentée à ce même conflit.

 

 

Feuerbach, à partir de l’héritage hégélien, en déconstruisant le christianisme a formulé dans son “Essence du christianisme” le contenu et la stratégie de l’athéisme. En effet, il se présente véritablement comme le père de l’athéisme, le premier athée vraiment systématique, soucieux non seulement de réfuter les croyances mais s’efforçant en outre de rendre raison de la foi en Dieu, de l’expliquer, d’en lever le secret, d’en expliquer la genèse et le besoin[72]. Dans son esprit, il faut non plus croire, mais penser. Pour lui, en définitive, “ la religion, du moins la chrétienne, est la relation de l’homme à lui-même, ou plus exactement à son essence, mais à son essence comme à un autre être (Wesen). L’être divin n’est rien d’autre que l’essence humaine, ou mieux l’essence de l’homme (...) Toutes les déterminations de l’être divin sont donc des déterminations de l’essence humaine ”[73]. Au fond, la conscience religieuse opérerait une scission par rapport à elle-même; elle s’aliénerait, c’est-à-dire accorderait à un autre - être non existant d’ailleurs - ce qui appartient en propre à son essence, quand bien même aucun existant concret n’en vérifierait la perfection. Derrière ce soupçon se trouve sans doute l’idée plus ou moins explicite d’un monisme foncier : la structure du réel ne permet pas, sinon par illusion, par aliénation, de distinguer la nature créée et une réalité qui la dépasse. Sur cette critique de fond, peuvent se greffer divers types d’explications de détail : le nerf de l’argument demeure identique. La transcendance est une illusion, elle transporte sur un autre ce qui revient en propre au sujet. En somme, les diverses étiologies des croyances en la transcendance permettent d’en rendre compte comme des phénomènes illusoires, autrement dit exprimant un désir ne correspondant pas à une réalité extra-mentale. Dès lors, il n’y a plus de conflit entre transcendance et immanence, puisque la transcendance n’est qu’une illusion qui naît de l’aliénation de l’immanence.

 

 

Max Stirner[74], au nom d’un individualisme très affirmé, souhaite aussi rompre une bonne fois pour toutes non seulement avec la religion, mais encore avec tous ses substituts, comme une forme d’humanisme sacralisé, lui encore très religieux, qui déifie une illusoire essence humaine. “ En transférant à l’homme ce qui, jusqu’à présent appartenait à Dieu, la tyrannie du sacré ne peut que se faire plus lourde, l’homme étant désormais enchaîné à sa propre essence ”[75]. Il s’agit, pour Stirner, de libérer le moi (l’immanence ?) de toutes les formes variées de transcendances qui l’enchaînent et l’empêchent de s’accomplir et de s’inventer.

 

 

Nietzsche annonce pour sa part la mort de Dieu. “ Dieu est mort, maintenant nous voulons que le surhumain vive ” [76]. L’ermite de Sils-Maria n’en a certainement pas fini ni avec le sacré, ni avec le divin[77], même s‘il s‘écrit : “ assez d‘un pareil Dieu !”[78]. Toute la subtilité de son enseignement réside peut-être, justement,  dans le d’ailleurs : ce n’est pas tant de Dieu que d’un tel Dieu dont Nietzsche entend se défaire. Le dogme chrétien et la morale ascétique lui font cependant horreur. L’attitude très réactive[79] de Nietzsche à l’endroit du christianisme, platonisme pour le peuple, ne peut cependant nous faire oublier d’autres aspects de sa pensée mis en lumière par Karl Jaspers[80]. Il n’en reste pas moins que, pour l’essentiel, la pensée nietzschéenne se formule ainsi : “ l’homme moderne a conçu la liberté et l’existence de Dieu comme antithétiques; si ce n’est pas l’un, c’est l’autre, et il a choisi la liberté ”[81].

 

 

La critique nietzschéenne est, elle aussi, éminemment psychologique. Cette limite est assumée par la perspective adoptée par cet auteur. Pour Nietzsche, “ désormais la psychologie est redevenue le chemin qui conduit aux problèmes essentiels ”[82]. De plus, chez lui, la psychologie change aussi de sens, de direction, de contenu : “ la psychologie n’a donc pas grand chose à voir avec la psychologie des psychologues. Elle est bien plutôt la philosophie lorsqu’elle ose, à travers le tissu des interprétations d’une réalité (d’un texte) qui n’est jamais donnée en original, laisser venir à la pensée les mouvements parfaitement amoraux qui l’animent, au lieu de chercher à aboutir coûte que coûte au résultat qu’elle espère ”[83].

 

 

Citons un texte très suggestif de la critique nietzschéenne des “arrière-monde”, d’une transcendance qui se juxtapose à la vie présente et en quelque sorte la pompe de l’intérieur et la vide ainsi de son suc : “ La notion de Dieu a été inventée comme antithèse de la vie; en elle se résume, en une unité épouvantable, tout ce qui est nuisible, vénéneux, calomniateur, toute haine de la vie. La notion d’au-delà, de “monde vrai” n’a été inventée que pour déprécier le seul monde qu’il y ait - pour ne plus conserver à notre réalité terrestre aucun but, aucune raison, aucune tâche! La notion d’“âme”, d’“esprit” et, en fin de compte, même d’âme immortelle, a été inventée pour mépriser le corps, pour le rendre malade - sacré - pour apporter à toutes les choses qui méritent le sérieux dans la vie - les questions d’alimentation, de logement, de régime intellectuel, les soins à donner aux malades, la propreté, le temps qu’il fait - la plus épouvantable insouciance ! Au lieu de la santé, le salut de l’âme, je veux dire une folie circulaire qui va depuis les convulsions de la pénitence jusqu’à l’hystérie de la rédemption ! ”[84]. L’idée sous-jacente à ce texte virulent de l’ermite de Sils-Maria est qu’il ne saurait y avoir qu’un seul monde, et qu’un monde juxtaposé (mais nous le verrons, il ne faut peut-être pas concevoir ainsi la transcendance) serait perversion et maladie affaiblissant et détruisant la vie. On ne peut exprimer de façon plus forte et éloquente l’opposition radicale entre la transcendance et l’immanence.

 

 

Nietzsche critique non seulement les représentations traditionnelles de la transcendance, celles du christianisme, mais encore toute vision nouvelle, tout substitut à ces transcendances évanouies ou compromises. En effet, la transcendance affaiblit la vie présente, l’immanence, pour la transposer sur un horizon illusoire et inexistant, sur un arrière-monde : “ au lieu de l’unité d’une vie active et d’une pensée affirmative, on voit la pensée se donner pour tâche de juger la vie, de lui opposer des valeurs prétendues supérieures, de la mesurer à ces valeurs, de la limiter, de la condamner. En même temps que la pensée devient ainsi négative, on voit la vie se déprécier, cesser d’être active, se réduire à des formes les plus faibles, à des formes maladives seules compatibles avec les valeurs dites supérieures ”[85]. Cette critique radicale non seulement du nihilisme chrétien[86], mais de toute force réactive qui affaiblit et désactive la vie au profit d’un monde idéal illusoire fait de Nietzsche le penseur “anti-transcendance” par excellence.

 

 

Selon la vision de l‘existentialisme, très conséquent lorsqu‘il pose le conflit entre immanence et transcendance, “ l’homme est l’être qui projette d’être Dieu. Etre homme, c’est tendre à être Dieu ”[87]. Cette tension appartient à l’humanité comme telle. Au fond, Dieu n’est que son idéal asymptotique. “ L’existentialisme athée, que je représente, est plus cohérent. Il déclare que si Dieu n’existe pas, il y a au moins un être chez qui l’existence précède l’essence, un être qui existe avant de pouvoir être défini par aucun concept, et que cet être c’est l’homme, ou comme dit Heidegger, la réalité humaine. Qu’est-ce que signifie ici que l’existence précède l’essence ? Cela signifie que l’homme existe d’abord, se rencontre, surgit après. L’homme, tel que le conçoit l’existentialiste, s’il n’est pas définissable, c’est qu’il n’est d’abord rien. Il ne sera qu’ensuite, et il sera tel qu’il ne se sera fait ”[88]. L’horizon ouvert d’une humanité qui s’invente ne saurait être obturé par un Dieu qui rend esclave. L’homme libre refuse d’hypostasier ce Dieu qui n’est que la projection de l’infinité de sa contingence. Comme le clame Oreste dans les Mouches : “ Que les rochers me condamnent et que les plantes se ferment sur mon passage : tout ton univers ne suffira pas à me donner tort. Tu es le roi des Dieux, Jupiter, le roi des pierres et des étoiles, le roi des vagues et de la mer; mais tu n’es pas le roi des hommes ”[89] Se soumettre à Dieu, serait aliéner sa liberté créatrice. Dieu se présente donc comme un concurrent qu’il serait moralement vil d’accepter. L’athéisme implique, au-delà de la conviction que Dieu de fait n’existe pas, la conviction morale qu’il ne doit pas exister.

 

 

Albert Camus, même si le fond de sa pensée est sans doute plus complexe[90], rejoint la position sartrienne d’un antagonisme presque irréductible entre liberté de l’homme et affirmation de la transcendance. Maurice Merleau-Ponty fonde lui aussi son athéisme sur la concurrence entre un regard transcendant et une liberté en acte. Dieu serait ce “ regard infini devant lequel nous sommes sans secret, mais aussi sans liberté, sans désir, sans avenir, réduits à la condition des choses visibles ”[91]. Plus encore, “ si Dieu est, la perfection est déjà réalisée en deçà de ce monde, elle ne saurait être accrue, il n’y a, à la lettre, rien à faire ”[92]. Dans une perspective analogue, Nikolaï Hartmann estime qu’il faut poser d’emblée l’inexistence de Dieu comme un postulat initial pour sauver l’indispensable liberté de l’homme moral[93]

 

 

II. LES TRANSCENDANCES SECULARISEES

 

 

On aurait pourtant tort de croire qu’une fois répudiées les formes anciennes d’affirmation de la transcendance, le problème s’en trouve par le fait même résolu. En effet, on assiste depuis à une résurgence, aussi bien au niveau pratique et politique, qu’au niveau théorique et intellectuel, de la tentation de domination d’une transcendance qui se présente cette fois sous un nouvel angle, mais ne s’oppose pas moins au nom d’un absolu horizontal à la liberté, à l’autonomie, à la vitalité de l’immanence. On peut sans doute nous objecter que le problème n’est plus exactement le même dans la mesure où, de fait, la transcendance n’est plus celle de l’ancienne métaphysique, ce qui est incontestable. Il n’en demeure pas moins que nous affrontons là un problème analogue, car, dans les jeux stratégiques de pouvoirs et savoirs, les transcendances sécularisées, sans ignorer toutes les variantes possibles, reproduisent à certains égards les mêmes mécanismes de coercition, de domination et de rivalité, donc de conflit, que les anciennes références transcendantes verticales et divines. Le défenseur de la transcendance « authentique » les dénoncera d’ailleurs comme autant de forme usurpée d’une autorité en soi légitime. L’imitation plaide malgré elle en faveur de l’original.

 

 

1. Récurrence d’un modèle

 

 

Une fois l’ancien modèle du transcendant chrétien répudié, d’autres formes de transcendance, sécularisées, naissent de ses cendres. Comme l’écrit Gilles Deleuze : “ a-t-on tué Dieu quand on a mis l’homme à sa place, et que l’on a gardé l’essentiel, c’est-à-dire la place ? Le seul changement est celui-ci : au lieu d’être chargé du dehors, l’homme prend lui-même les poids pour les mettre sur son dos. Les valeurs peuvent changer, l’homme se mettre à la place de Dieu, le progrès, le bonheur, l’utilité remplacer le vrai, le bien ou le divin, l’essentiel ne change pas, c’est-à-dire les perspectives ou les évaluations dont dépendent ces valeurs, vieilles ou nouvelles ”[94]. Il est certes vrai que l’on change plus aisément de contenu que de structure. Comme l’analyse fort bien Luc Ferry : “ c’est toujours aux yeux du philosophe déconstructeur ou, comme dit Nietzsche, “généalogiste”, le “nihilisme”, la volonté d’évacuer l’existence au nom d’un au-delà, qui continue d’animer secrètement l’aspiration éperdue au sens, le désir d’absolu”[95]. Cette veine critique, assez radicale, suggère qu’au fond on ne s’affranchit pas véritablement d’une transcendance : on en substituerait souvent  une nouvelle à une autre désormais délaissée. 

 

 

Le succès tragique d’ailleurs connu par le marxisme-léninisme athée[96] au cours du siècle écoulé nous invite à nous défier de toute resacralisation de formes désacralisées, avec le risque redoutable de religions séculières, aucunement tempérées par le caractère mystérieux d’une transcendance religieuse dont finalement personne n’est maître.

 

 

2. Le totalitarisme, version perverse de la transcendance

 

 

Le vingtième siècle a été cruellement marqué par les déferlantes totalitaires, bien connues de tous. Nous ne saurions certainement confondre les transcendances de type traditionnel avec des régimes autoritaire, car dans un cas, il y a toujours une sorte de recours possible à celui qui est au-delà, ce recours auquel peut faire appel Jeanne d’Arc dans son procès, face à ses juges, sans sortir, au fond, du système de pensée catholique[97]. Le Pape n’est jamais que le « Vicaire » : autrement dit, il est toujours jugé par un autre qu’il représente et auquel il doit rendre des comptes, Dieu lui-même. C’est ce qui différencie en substance l’infaillibilité pontificale d’une proposition comme “le Führer a toujours raison”. Le nazi pris en faute ne peut prétendre qu’un Dieu jugera lui-même le Führer et l’absoudra, sinon l’approuvera. Il ne pourra dire qu’il vaut mieux obéir à Dieu qu’aux hommes.

 

 

Le problème de fond est celui du degré d’identification entre celui qui a le pouvoir et la source de ce pouvoir. La phrase célèbre prêtée à Louis XIV, “l’Etat c’est moi” incarne une forme d’identification. Les représentants de Dieu dans les religions en incarnent une plus forte encore. Mais tout est consommé, si l’on peut dire, uniquement lorsque la référence transcendante elle-même est absorbée dans une référence immanente, lorsque la « transcendance transcendante » est remplacée par une “transcendance immanente”, une fausse transcendance, plutôt un pouvoir devenu absolu, aveugle et qui usurpe une autorité absolue qu’il ne détient pas. Le défenseur de la transcendance, au sens métaphysique traditionnel, aura donc beau jeu de relever que cette dernière n’est pas mise en cause, bien au contraire. C’est parce que la vraie transcendance est méconnue que des caricatures et des substituts et des substituts fallacieux et indignes viennent occuper le terrain et tout pervertir[98].

 

 

D’un point de vue philosophique, cette position pose deux problèmes. D’une part, et ce point est capital également, la dénonciation du mal commis par des nouvelles transcendances qui ne sont pas véritablement telles ne disculpe pas pour autant la transcendance “authentiquement transcendante” ipso facto, sinon en vertu d‘un acte de foi en cette dernière, possible sans doute, mais non obligé. On peut même dire que les caricatures de la transcendance reprennent tout simplement les inconvénients de la transcendance elle-même, quitte à les aggraver. D’autre part, l’histoire montre bien que les inquisiteurs de l’un ou l’autre camp partagent souvent les mêmes soucis et les mêmes méthodes, à commencer par la torture. Ceci ne permet certes pas de trancher de façon décisive au sujet d’une éventuelle transcendance extra-mentale. Cela permet pourtant de dire qu’il y a au moins un rapport d’analogie entre un système dogmatique faisant référence à une transcendance et un système totalitaire, ce qui justifie le rapprochement opéré, lequel se garde bien sûr de tout confondre, ou de conclure trop vite.

 

 

Comme l’ont vu par exemple les penseurs de “socialisme et barbarie ”[99], dénonçant, parmi d’autres, l’imposture stalinienne, le totalitarisme n’est pas seulement une subordination de la partie au tout, mais une vision du tout telle qu’elle implique une soumission radicale des individus à une volonté donnée et dictée, qui représente une sorte de vérité absolue, unique. L’“ un ” d’ailleurs, religieux ou politique, pourrait être toujours au moins virtuellement totalitaire[100]. En tout cas, la liberté de l’individu est limitée au maximum pour qu’un bien autre que la somme des bonheurs individuels puisse l’emporter. On pose alors une sorte de volonté générale au sens rousseauiste[101] mais absolutisée au point que le bien de chacun ne peut plus d’aucune façon et jamais trouver sa place. En somme, on choisit Rousseau contre Kant qui estime que la personne ne saurait être traitée seulement comme un moyen mais doit d’abord être considérée comme une fin[102]. De fait, évoquer une totalité qui nous dépasse sans englober notre bien peut conduite à cette aliénation et au mépris complet de la personne humaine. La transcendance “horizontale” ainsi cultivée peut-être, il est vrai, suite à l’effacement des grands modèles de transcendance de type traditionnel, entre en conflit avec l’immanence, et de manière on ne peut plus radicale.

 

 

3. Les nouveaux magistères

 

 

Dominique Lecourt a beaucoup étudié l’affaire Lyssenko[103]. Il s’agit en l’occurrence d’une vérité idéologique infaillible qui devait s’imposer en science même, par fidélité à la doctrine du parti, élaborée par Lyssenko. Ce dernier, chercheur de qualité, ne s’était pas montré clairvoyant au sujet de l’hérédité des caractères acquis qu’il affirmait pour le moins hâtivement. Il imposait ainsi une position que tous les scientifiques durent par la suite accepter sous peine d’être finalement condamnés pour hétérodoxie et donc trahison de l’idéal communiste. Nous sommes véritablement en présence de vérités dogmatiques, à leur manière transcendantes par rapport à la raison. Il faudrait en l’occurrence, ce serait même un devoir, croire à telle théorie, même si le progrès de la recherche scientifique nous conduisait dans un sens opposé. Nous nous trouvons là précisément en face d’une référence jugée transcendante par rapport à la quête de l’intelligence humaine ordinaire.

 

 

Le processus psychologique de sacralisation opère bien au-delà des frontières du temps et des territorialisations religieuses et idéologiques. Toute opinion prise “pour parole d’évangile”, si l’on peut dire, quel qu’en soit le contenu et d’où qu’elle vienne à l’origine nous semble déjà lourde d’une menace.

 

 

4. L’opinion, succédané de la transcendance

 

 

Nous le savons, l’opinion – la doxa dont se défiait Socrate - peut exercer une influence très puissante et très durable sur les esprits. Nous avons tous en nous des préjugés et des manières de voir qui, en quelque sorte, s’imposent à nous. De l’intérieur, ils conditionnent en quelque sorte nos jugements. Parfois, ils les dictent. Il y là comme une nouvelle variante d’une certaine transcendance par rapport à l’exercice libre et immanent de nos facultés intellectuelles. Une variante que l’on n’hésitera certes pas à dénoncer et à considérer comme sournoise : en effet, l’opinion, bien souvent, dissimule à elle-même et aux autres son caractère arbitraire. Elle avance masquée. Elle se revêt de la parure des fausses évidences.

 

 

L’une des manifestations les plus redoutables de l’opinion est ce que l’on appelle le “politiquement correct”. En l’occurrence, il s’agit d’une sorte de surmoi extérieur, souvent non explicité, qui nous oblige à penser de telle ou telle manière ou à nous exprimer en tel ou tel sens. Il ne serait pas abusif de parler là de “pression” exercée, sinon d’autorité, même si c’est sans doute en un sens bien galvaudé.

 

 

A l’évidence, ce succédané de la transcendance entre également en conflit avec l’immanence. Elle empêche le déploiement libre et créateur de nos qualités rationnelles. Elle s’impose à nous en un conflit que nous tentons souvent d’éluder au travers d’une soumission qui s’apparente peut-être à la couardise.

 

A suivre !

 



[1]                 Le Petit Larousse Grand Format, 100ème édition 2005, Paris, 2004, 1070.

 

 

 

[2]                 E. DREWERMANN, L’Evangile de Saint Marc, tr. fr., Paris, 1993, 12.

 

[3]                 E. DREWERMANN, Dieu en toute liberté. Psychologie des profondeurs et religion, tr. fr. J.-P. BAGOT, Paris, 1997.

 

[4]                 Cf. A. MUNSTER, Nietzsche et Stirner, tr. fr., Paris; 2001 ; I. GOBRY, Nietzsche ou la compensation, Paris, 2001.

 

[5]                 Un classique, P. SOLIGNAC, La névrose chrétienne, Paris, 1971.

 

[6]                 M. ONFRAY, Traité d’athéologie, Paris, 2005. Du même, Fééries anatomiques, Paris, 2003.

                    Notons, en passant, sans remettre en cause les intuitions magnifiques, vives et volcaniques de cet auteur qu’il ne démontre pas ce qui est en question, à savoir qu’il y a contradiction absolue entre la transcendance et l’immanence. En réalité, il établit simplement que parfois, ou souvent, qu’importe à cet égard, la référence à une transcendance bride et exténue la vie, ce avec quoi nous sommes d’ailleurs d’accord. Cela ne prouve pas pour autant qu’il faille refuser toute transcendance, de façon définitive et sans appel possible. L’accumulation en catalogue, assez partiale, des méfaits des religions, empruntée d’ailleurs en partie à Raoul Vaneighem, ne clôt en aucune manière, à notre sens, le débat sur le fond. Par contre, nous concédons à Vaneighem et à Onfray que les religions doivent être critiquées, et aussi de l’intérieur, comme le fait par exemple Drewermann pour le catholicisme (pour excessif que soit parfois le ton adopté), sans pour autant refuser absolument toute forme de transcendance. Onfray jette peut-être le bébé avec l’eau du bain...et arrache en plus la baignoire ! Ainsi, dire du Christ qu’il est un « ectoplasme » et de Paul de Tarse un « hystérique » (même si, sans doute, au travers de cette dernière affirmation, Onfray vise peut-être la psychologie difficile de cet homme, cf. en plus serein A. DECAUX, L’avorton de Dieu. Une vie de Saint Paul, Paris, 2003) comme cela est répété n’éclaircit guère le problème au plan philosophique. L’ « athéisme fidèle » d’André Comte-Sponville est autrement plus mesuré et respectueux (cf. A. COMTE-SPONVILLE, A-t-on encore besoin d’une religion ?, Paris, 2003). En même temps, seule une philosophique inclusive de l’immanence peut, au niveau métaphysique, rendre raison des richesses des religions en ne faisant pas appel à la transcendance.  

 

[7]                 On ne peut oublier les critiques de Wittgenstein ou de Popper à cet égard: cf. J. BOUVERESSE, Philosophie, mythologie et pseudo-science, Wittgenstein lecteur de Freud, Paris, 1991 ; A. BOYER, « La théorie freudienne a-t-elle toujours raison? » in La psychanalyse en procès, Hors Série le Nouvel Observateur, Paris, 2004, 68-71.

 

[8]                 D’autant plus que la réaction envisagée s’attache peut-être souvent  davantage à tel ou tel aspect non essentiel et qui n’appartient donc pas forcément à toute conception de la transcendance comme telle. De plus, la réaction négative à l’endroit d’une hiérarchie religieuse ne se fait pas forcément contre la transcendance, mais en son nom. Ainsi, chez un Martin Luther ou un Savonarole (TITO S. CENTI, Savonarola. Il frate che sconvolse Firenze, Firenze, 1993).

 

[9]                 Ce que fait allègrement, entre autres, C. TRESMONTANT, Les problèmes de l’athéisme, Paris, 1972, 438 : « L‘athéisme est une foi irrationnelle, et à ce titre il relève de la psychologie. C‘est aux psychologues à nous donner une analyse en profondeur qui nous permette de comprendre la genèse et l’existence de l’athéisme. Les psychologues retrouveront, pensons-nous, dans l’analyse des conflits, les contre-sens théologiques que nous avons dégagés ».

[10]            Même chez Thomas d’Aquin: cf.    J. TONNEAU,  «Devoir et morale». Revue des Sciences Philosophiques et Théologiques 38 (1954) 233-252; J. TONNEAU, “The Teaching of the Thomist Tract on Law». The Thomist 34 (1970) 13-83. Il est vrai que ce théologien médiéval nous propose davantage une morale du bonheur et des vertus qui assure à l’homme sa perfection  qu’une éthique de la norme et de la loi.

 

 

 

 

[11]            C'est la conviction de  Husserl. J. BENOIST, Autour de Husserl. L’ego et la raison, Paris, 1994 ; N. DEPRAZ, Transcendance et incarnation. Le statut de l’Intersubjectivité comme Altérité à soi chez Husserl, Paris, 2000.

              

[12]            ANSELME, Proslogion (éd. B. PAUTRAT, Paris, 1993) ; THOMAS d’AQUIN, Somme Théologique, I, q.2, a 1-3 (cf. Ed. Cerf, I, 169-173) ; R. DESCARTES, Méditations métaphysiques, rééd., Paris, 1992, E. KANT, Critique de la raison pure, tr. fr. ; A. RENAUT, Paris, 2001 ; L. GIRARD, L’argument ontologique chez Saint Anselme et chez Hegel, Montréal, 1995 ; A.C. PEGIS, Saint Anselm and the argument of  Proslogion, in Medieval Studies, 28 (1996).

[13]               F. NIETZSCHE, Ainsi parlait Zarathoustra, tr. fr., Paris, 1958.

 

[14]               M. CONCHE , Présence de la nature, Paris, 2001. Le philosophe distingue le monde et la nature.

[15]               M NEDONCELLE, La réciprocité des consciences, Paris, 1942.

[16]               R. MISRAHI, L’Etre et la joie, perspectives synthétiques sur le spinozisme, Paris, 1997.

 

[17]               P. GUENANCIA, Passions et liberté chez Descartes, site interev@ Polynésie française.

 

[18]               R. JOLY,  Hippocrate, Paris, 1964.

[19]               Danièle HERVIEU-LEGER, La religion en mouvement, Paris, 1999.

 

[20]               La cité séculière, 2 éd, Bruxelles, 1968 ; Retour de Dieu, Paris, 1995.

 

[21]               H. ARENDT, Le système totalitaire, Paris, 1972, 184.

 

[22]               M. MERLEAU-PONTY, Eloge de la philosophie, Paris, 1953, 58. 

 

[23]               J. MONOD, « La science, valeur suprême de l’homme » in Raison présente, 55, 1980, 63.

 

[24]               L. BRUNSCHVICG, La raison et la religion, Paris, 1939.

 

[25]              R. RUYER, La Gnose de Princeton, Paris, 1974, 239 : « Le Dieu des religions particulières favorise la mégalomanie. De même l’athéisme, en tant que religion particulière. Celui qui croit que Dieu favorise son Eglise et celui qui croit que son parti a le pouvoir de décréter la vérité se ressemblent en ceci qu’ils sont également menacés de paranoïa. Le Dieu philosophique, justement parce qu’il est abstrait et n’est inféodé à rien, est efficace contre ce genre de démence, sans risquer pourtant de faire tomber dans la folie inverse de l’homme qui se sent écrasé par un Dieu personnel et arbitraire ».  

 

[26]               J.B. METZ, cité par G. MINOIS, op. cit., 559.

 

[27]               J.-L. NANCY, Des lieux divins, Paris, 1987, 35.

 

[28]               E. JUNGEL, Dieu mystère du monde, Paris, 1987, 35.

 

[29]               R. SCHOLTUS, in Esprit, 1997, 83.

 

[30]               L. FERRY, Qu’est-ce qu’une vie réussie ?, Paris, 2002, 18-19.

 

[31]               Ibid.,65. Même si, d’un autre côté, l’individualisme crée du lien autrement : F. de SINGLY,  Les uns avec les autres, Paris, 2003.

 

[32]               L. FERRY, L’Homme-Dieu, Paris, 35.

 

[33]               F. TONNIES, Communauté et société, tr. fr., Paris, 1922.

 

[34]              M. CASTELLS, Dans quel monde vivons-nous ? Le travail, la famille et le lien social à l'ère de l'information, Paris, 2001.  Le développement des réseaux de sociabilité comme Facebook mériterait une étude particulière.

 

[35]               M. CANTO-SPERBER et R. OGIEN,  La philosophie morale, Paris, 2004, 39-42.

 

[36]               P. HADOT, Le voile d’Isis. Essai sur l’idée de nature, Paris, Gallimard, 2004.

[37]               M. ONFRAY, Traité d’athéologie (cit.), 72.

 

[38]               Ibid., 86.

 

[39]               Ibid., 262. On ne saurait mieux dire mais notre pari à nous est qu’il peut y avoir une dimension plus profonde de ce monde, sans que nous ne perdions l’usage et le bénéfice du monde présent.  Nous y reviendrons.

 

 

 

[40]               R. DEBRAY, Le plan vermeil, Paris, 2004.

 

[41]               G. LIPOVETSKY, L’Empire de l’éphémère, Paris, 1991.

 

[42]               Même si, peut être, plus encore qu’une différence de mentalité, et sans la nier, il faut voir là une différence de moyens et de ressources : les grandes révolutions sont d’abord là. Une voiture, une carte bleue, un ordinateur ...: cela change tellement de choses dans notre rapport au monde !

 

[43]               Cf. G. MINOIS, Histoire de l’athéisme, Paris, 1998.

 

[44]               A. GODIN, L’Athéisme dans la vie et la culture contemporaine, I, Paris, 1967, 270. 

 

[45]               F. JULLIEN, « La pensée fondatrice de la Chine » in Histoire de la philosophie I Les pensées fondatrices (dir. J. RUSS),Paris, 1993, 161 ; F. JULLIEN, Procès ou Création, Paris, 1989.   

 

 

 

[46]               Pour une vue d’ensemble : J. CHELINI, Histoire religieuse de l’Occident médiéval, Paris, 1991. 

 

[47]            A.-G. MARTIMORT, Le gallicanisme, Paris, 1973 ; P. BLET, Le clergé du Grand Siècle en ses Assemblées, Paris, 1995.

 

[48]            L. COGNET, Le jansénisme, Paris, 1967.

 

[49]               B. PLONGERON, « La religion comme lien social sous la révolution », in Revue des sciences morales et politiques, Paris, 1994, 125-136.

 

[50]               DANTE ALIGHIERI, La Monarchie, éd. bilingue, trad. M. GALLY, intr. C. LEFORT, Paris, 1993.

 

[51]               E. GILSON, Dante et la philosophie, Paris, 2002.

 

[52]               A. BILLECOUR, Les combats de Spinoza, Paris, 1994.

[53]               JUSTIN, Apologie pour les chrétiens, tr. fr. et rééd. (Sources Chrétiennes), Paris-Lyon, 2002.

 

[54]               L. FERRY, Qu’est-ce qu’une vie réussie ?, Paris, 2002, 315.

 

[55]               J. LE GOFF, Pour un autre Moyen Age, Paris, 1977.

 

[56]               J.VERDON, Moyen Age. Ombres et lumières, Paris, 2005.

 

[57]               Cf. le travail important H. LEY, Studie der Geschichte des Materialismus im Mittelater,  Berlin, 1959.

 

[58]            C. FABRO, « Genèse historique de l’athéisme contemporain » in L’Athéisme dans la philosophie contemporaine, Paris, 1970, 38.

 

[59]               E. LEROY-LADURIE, Montaillou, village occitan, Paris, 1975, 534-535.

 

[60]              J.-C. SCHMITTT, cité par G. MINOIS, Histoire de l’athéisme, Paris, 1998, 599 : « L’historicité du christianisme est au principe de ce qu’on pourrait appeler le retraitement permanent des croyances. [...] Loin d’être un système de croyances clos et fixé une fois pour toutes, le christianisme médiéval n’a jamais cessé de se modifier, d’innover (en inventant par exemple la croyance au purgatoire), de s’adapter et de retrancher. [...] Soyons certains que cette faculté d’adaptation a été l’un des secrets de la force et de la pérennité de l’Eglise ».   

 

[61]               G. MINOIS, Ibid., 82.

 

[62]               E. GILSON, Pourquoi Saint Thomas a critiqué Saint Augustin ?, Paris, rééd, 1986.

 

[63]               E. GILSON, Introduction à l’étude de saint Augustin, Paris, 1989, 317.

 

[64]               H;-I. MARROU, Saint Augustin et l’augustinisme, Paris, 1955, 155.

 

[65]               Ibid., 173.

 

 

 

[66]               E. GILSON, Etudes de philosophie médiévales, Paris, 1948, 35.

 

[67]               E. GILSON, Ibid., 54.

 

[68]               L. FEBVRE, Le Problème de l’incroyance au XVIe siècle. La religion de Rabelais, Paris, 1942.

 

[69]               F. BERRIOT, Athéismes et athéistes en France au XVIe siècle, Lille, 1976.

 

[70]               Ibid., 265.

 

[71]               J.S. SPINK, La Libre Pensée française de Gassendi à Voltaire, tr. fr., Paris, 1966.

 

[72]               H. KUNG, Dieu existe-t-il ?, tr. fr., H. ROCHAIS, Paris, 1978, 250 : «  Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, on est en présence d’un athéisme pleinement réfléchi, absolument résolu, se reconnaissant tel sans réserve et - c’est un point important - un athéisme soutenu jusqu’à la fin comme un programme à réaliser : en aucun cas la théologie ne saurait le réinterpréter ou le récupérer après coup. Cet athéisme conséquent lance un défi permanent à toute foi en Dieu ».

 

[73]               L. FEUERBACH, L’essence du christianisme, tr. fr., J.-P. OSIER, Paris, 1968, 82. 

 

[74]               M. STIRNER, Der Einzige und sein Eigentum, Stuttgart, 1891, 412.

 

[75]               Max Stirner. Cité par G. MINOIS, op. cit., 507. 

 

[76]               F. NIETZSCHE, Ainsi parlait Zarathoustra, Paris, tr. fr. 1958, 264. 

 

[77]               I. BROISSON, Nietzsche et la vie spirituelle, Paris, 2003. 

 

[78]               F. NIETZSCHE, Zarathoustra, IV, 6, tr. BIANQUIS, Paris, 1946, 505.

 

[79]               A. MUNSTER, Nietzsche et le christianisme, tr. fr., Paris, 1995.

 

[80]               K. JASPERS, Nietzsche und das Christentum, Hameln, 1948.

 

[81]               C. FABRO, Introduction à l’athéisme moderne, tr. fr., Sillery (Québec), 1999, 706.

 

[82]               F. NIETZSCHE, Par delà bien et mal, tr. fr. de M. De GANDILLAC, Paris, 1971, § 23, 42.

 

[83]               A. CUGNO, L’existence du mal, Paris, 2002, 144.

 

[84]               F. NIETZSCHE, Ecce Homo, § 8, tr. fr., Paris, 1971, 16.

 

[85]               G. DELEUZE, Nietzsche, Paris, 1968, 15.

 

[86]               Cf. P.-E. DAUZAT, Le nihilisme chrétien, Paris, 2001.

 

[87]               J.-P. SARTRE, L’Etre et le Néant, Paris, 1943, 612.

 

[88]               J.-P. SARTRE, L’existentialisme est un humanisme, Paris, 1952, 22.

 

[89]               J.-P. SARTRE, Les Mouches, Paris, 1947, Acte III, Scène 2, 232.

 

[90]               A. CORBIC, L’absurde, la révolte, l’amour, Paris, 2005.  

 

[91]               M. MERLEAU-PONTY, Sens et non-sens, Paris, 1948, 362.

 

[92]               Ibid., 356.

 

[93]               N. HARTMANN, Ethik, Berlin, 1949.

 

 

 

[94]               G. DELEUZE, Nietzsche, Paris, 1968, 18.

 

[95]               L. FERRY, op. cit., 92.

 

[96]               F. FURET, Le passé d’une illusion, Paris, 1994 ; aussi A. GLUCKSMANN, La Cuisinière et le Mangeur d'Hommes, réflexions sur L'Etat, le marxisme et les camps de concentration, Paris, 1975.

 

[97]               A. BESANÇON, La falsification du bien, Soloviev et Orwell, Paris, 1985.

 

[98]               Position exprimée par exemple par J.-M. LUSTIGER, Le choix de Dieu, Paris, 1987. D’où le lien un peu rapidement établi entre l’antisémitisme nazi et le refus de la transcendance de la part de penseurs des Lumières.

 

[99]              C. LEFORT, Un homme en trop. Essai sur l’archipel du goulag de Soljenitsyne, Paris, 1977 ; C. CASTORIADIS, Le contenu du socialisme, Paris, 1979.

 

[100]              Question posée par S. BRETON, Théorie des idéologies, Paris, 1976.

 

[101]              F. FARRUGIA, Archéologie du pacte social, Paris, 1994.

 

[102]              E. KANT, Fondements de la métaphysique des mœurs, 36, 2e section (1785), tr. fr. V. DELBOS, Paris, 1907.

 

[103]              D. LECOURT, Lyssenko ; histoire réelle d’une science prolétarienne, Paris, 1976.

 

 

 

ciel

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